Page:Sand - Mademoiselle La Quintinie.djvu/73

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Quoi de plus simple que la présence d’une embarcation sur ce lac souvent exploré la nuit par les pêcheurs ou les oisifs ? Mon imagination excitée vit pourtant là un événement capable de décider de ma vie. C’était Lucie qui revenait me surprendre, et que j’allais voir aborder au-dessous de moi !

Aborder là, non pourtant, ce n’était pas possible : le rocher est à pic ; mais, si la barque s’engageait dans l’ombre projetée sur l’eau par la masse de ce rocher, évidemment elle se dirigeait sur le petit port, et, comme du jardin on ne voit pas le débarcadère, je sortis du jardin en franchissant un mur à hauteur d’appui, et je descendis précipitamment le sentier.

Grâce à l’ombrage des grands marronniers qui, plantés à mi-côte, étendent leurs longues branches au-dessus des chaumières jusqu’au bord de l’eau, je gagnai la rive sans être aperçu, et je vis la barque d’assez près pour m’assurer qu’elle ne contenait que deux hommes, un batelier qui faisait force de rames ; et un personnage enveloppé d’un manteau et coiffé d’un chapeau à larges bords. Ils passèrent à peu de brasses du rivage et disparurent en remontant vers l’abbaye de Hautecombe.

Je me raillai moi-même ; mais la déception ne fut pas moins pénible, et je restai cloué à ma place comme si j’eusse attendu l’apparition d’une autre barque portant réellement Lucie.

Cependant j’écoutais machinalement le petit bruit de celle qui venait de passer, et je remarquai qu’elle s’arrêtait à une très-courte distance de moi. Je retins mon souffle, et j’entendis une voix basse et timbrée, une voix méridionale dire avec un léger accent étranger :

« C’est ici ?

Oui, monsieur, » répondit la voix toute locale du batelier savoyard.