Page:Sand - Mademoiselle Merquem.djvu/200

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

et de prendre le temps qu’elle voudrait pour m’éprouver.

— Il faut, me dit-elle, que je vous raconte ma vie. Vous ne me connaissez pas, et je ne me connais peut-être pas moi-même ; mais je suis brisée d’émotion, et je ne pourrais pas rassembler deux idées. Vous êtes fatigué aussi. Allez prendre l’air sans sortir du parc et revenez dans une heure. Non ! attendez-moi, je vais avec vous. J’ai besoin aussi de respirer. Nous nous promènerons sans rien dire. Voulez-vous ? Nous causerons en rentrant.

Nous gagnâmes, à travers le parc, le sommet de la falaise sans échanger une parole. Elle était toujours pâle et comme oppressée. Quand elle aspira la brise de mer, elle reprit sa fraîcheur rosée, et, marchant sur l’herbe touffue et dure qui croît jusqu’à la brisure du précipice, elle regarda la mer et le vaste ciel comme si elle les eût découverts pour la première fois. Elle ne me parlait pas, mais ses yeux interrogeaient les miens et semblaient me demander si, comme elle, j’étais surpris et frappé de la nouveauté de ce grand spectacle. Nous nous comprenions. Son attitude fut plus mystérieuse quand nous redescendîmes les courbes crevassées du vieux parc. Elle s’arrêtait à chaque pas pour regarder les grandes plantes spontanées, les angéliques monumentales qui élançaient leurs ombelles dans les taillis, et les jacobées qui semaient d’étincelles d’or les recoins assombris des ravines.

— Faites-moi un énorme bouquet, dit-elle. Prenez les plus belles fleurs.

J’obéis d’abord machinalement, puis je me rappelai une fantaisie poétique qui m’avait été signalée. Elle