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Page:Sand - Marianne, Holt, 1893.djvu/69

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Longtemps elle n’avait pas eu d’autre salon que cette grande pièce à solives enfumées d’où pendaient des grappes d’oignons dorés, et au centre de laquelle, en guise de lustre, se balançait la cage à claire-voie où l’on met les fromages. Les paysans sont très-propres dans cette région. Si les poules et les canards pénètrent à tout moment dans l’intérieur, la ménagère, armée du balai, est incessamment sur pied pour les chasser et faire disparaître les traces de leur passage. Les lits et tous les meubles sont frottés et luisants, la vaisselle brille de netteté sur le dressoir ; mais ces grands lits de serge jaune, fanés jusqu’à avoir pris la teinte feuille morte, la noire cheminée à crémaillère encombrée de pots, de chats et d’enfants, le dallage inégal et crevassé, la petitesse de l’unique fenêtre, l’écrasement d’un plafond garni de provisions et d’ustensiles qu’il faut éviter en marchant, tout cela n’offrait pas au jeune Parisien l’idée d’un bien-être suffisant, et il ne pouvait même pas rêver un atelier de peinture dans ce local sans lumière et sans élévation.

Comme il y avait de la finesse sous sa pétulance, il se garda bien de dire à André un mot qui exprimât son déplaisir. Il se contenta de demander si c’était là qu’on allait dîner.

— Je le présume, répondit Pierre. Mademoiselle Chevreuse a bien quelque part un petit appartement ; mais, depuis qu’elle l’a fait arranger, je n’y suis pas entré, et j’ignore si elle a une salle à manger. Je crois qu’elle vit sur un pied d’égalité complète avec ses métayers et qu’elle prend ses repas avec eux.

— Alors nous allons manger avec tout le personnel de la ferme ? Eh bien, c’est charmant ! et voilà ce que j’appelle la vraie vie de campagne.

En ce moment, la Marichette vint dire à Pierre que, si ces messieurs souhaitaient faire un tour de jardin, ils y trouveraient de quoi s’asseoir, et que la demoiselle y était sans doute déjà avec madame André.

— Le jardin est derrière la maison, ajouta-t-elle ;