Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/140

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plaudie de ne pas risquer d’être mariée de force à un malhonnête homme.

— Vous devez en vouloir pourtant, lui dis-je à ce grossier personnage qui vous avait si mal regardée par le trou de la serrure et qui disait si haut des choses que vous ne deviez pas entendre.

— Eh bien, pas du tout, répondit mademoiselle Vallier, et même, je veux vous le dire, c’est si naïf ! j’ai aimé de tout mon cœur d’enfant cet inconnu dont la dure parole était restée dans mon oreille. Cette parole m’éclaira pour la première fois sur ma situation. Je n’avais jamais pensé que ce fût une honte d’épouser une fortune dont on ne savait pas l’origine. Je me rappelai alors des mots échappés à ma mère, j’observai les manières des gens qui venaient chez nous. Je compris qu’il y avait eu dans la vie délirante de mon père des erreurs ou des fautes, et je me mis à souffrir de ma richesse comme les autres souffrent en rougissant de leur pauvreté. Pendant plus d’un an, j’ai pensé à ce fier jeune homme qui m’avait avec raison trouvée si affreuse et peut-être si grotesque. Pouvais-je lui en savoir mauvais gré ? Je me trouvais laide aussi. Quelles eussent été ma honte et mon infortune si, au lieu de cette nature hautaine et franche, on m’eût présentée un ambitieux sans scrupule qui m’eût épousée pour ma dot, que j’eusse aimé ingénument, et qui m’eût abandonnée ou tenue sous ses pieds ? Mon père m’opprimait, mais mon cœur ne saignait pas trop de son manque d’affection. Je ne me piquais pas d’une tendresse hypocrite pour lui. Je n’avais jamais reçu ses caresses, je ne connaissais de lui que ses excentricités redoutables. Je les subissais comme un ouragan sous lequel on se courbe sans vaines malé-