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Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/66

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meraudes, avait jugé à propos de l’appeler Esmeralda. Ce nom romantique, traduit et contracté en basse Normandie, était devenu Aldine. La chose venait de nous être contée par M. Aubry un quart d’heure auparavant.

Je pus donc apprécier rapidement, mais irrévocablement, le petit monstre que mon oncle avait la bonté de me destiner. Roulée en chien dans le hamac, mademoiselle Aldine me parut n’avoir que trois pieds de haut. Il n’y avait de bien apparent que deux bras maigres et enfantins chargés de bracelets jusqu’aux coudes, et une figure ronde et vermeille comme une grosse pomme à cidre. Certes, ce que cette pauvre fille avait à faire de mieux, c’était de ne pas ressembler à son père ; mais, en prenant un parti tout opposé, la nature avait réussi à faire encore pis.

Je ne m’arrêtai pas à regarder la négrillonne, je retournai vite auprès de mon oncle, et en quelques mots bien sentis je lui exprimai ma pitié pour cette laideur physique et mon aversion pour la laideur morale de l’ex-marchand d’esclaves. Je fus si énergique, que mon oncle craignit de voir éclater M. Aubry, et qu’il se hâta de sortir avec moi en disant au nègre que nous ne voulions pas déranger son maître en affaires, et que nous reviendrions une autre fois.

Nous n’y sommes jamais retournés, et je n’ai jamais vu mademoiselle Aldine. Je crois que, peu de jours après, le Célestin Aubry vendait en bloc son bric-à-brac et prenait avec ses enfants le chemin de la Normandie. J’ignore s’il y a acheté un manoir seigneurial, je sais seulement que, six ou huit mois plus tard, mon oncle, qui, sans s’expliquer beaucoup sur l’aventure, m’avait toujours battu froid depuis ma rébellion, s’é-