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Page:Sand - Mont-Reveche.djvu/156

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de la liberté parfois choquante de ses allures d’esprit et de conduite. Mais Thierray avait toujours eu l’ambition d’aimer, et la fantasque Éveline n’éprouvant pas encore ce besoin, ne cherchait qu’à l’éblouir. Il lui savait gré, à coup sûr, de toute la peine qu’elle se donnait pour cela, car il était trop expérimenté pour se piquer ou s’alarmer de ces brusqueries affectées et des transitions impertinentes au moyen desquelles elle soufflait le froid et le chaud sur ses espérances. La pauvre enfant était une coquette bien naïve auprès de celles que Thierray avait connues dans un certain monde, et l’impuissance de ses efforts pour ressembler à une âme dépravée était, à son insu, le plus grand, le seul véritable attrait qu’elle eût aux yeux de sa prétendue victime.

Mais tout cela, après avoir été charmant pendant une heure ou deux, devenait une fatigue pour un homme très-fin, blasé sur bien des choses, et avide seulement d’amour vrai et rassurant. Thierray avait probablement rencontré cet amour vrai, et peut-être plus d’une fois dans sa vie ; mais il n’avait pas su l’apprécier, ou plutôt il ne s’était pas soucié alors d’un bonheur sérieux et tranquille. Son imagination, son ambition, l’inquiétude et la curiosité de sa jeunesse, avaient eu d’autres besoins, de faux besoins à satisfaire ; mais il se faisait tard dans cette existence isolée et difficile. Thierray sentait son cœur s’impatienter d’être négligé trop longtemps par son propre esprit. L’esprit, c’était toujours la même chose. Le cœur promettait et demandait à la fois quelque chose d’inconnu et de réconfortant.

Si bien qu’Éveline l’ennuya tout à coup, et que, pour se soustraire à ces incessantes taquineries, il lui fit deux ou trois réponses assez mordantes, quasi brutales.

Dutertre les entendit ; lui qui, peut-être trop préoccupé