Page:Sand - Mont-Reveche.djvu/161

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mais sans repentir aucun, pleurait avec véhémence et se regardait comme une victime.

Dutertre, touché de tant de sensibilité, mais surpris et effrayé de découvrir si peu de conscience dans ce caractère incomplet, tâcha de s’y prendre par un raisonnement des plus simples et pour ainsi dire terre à terre.

— Écoute, folle enfant, lui dit-il, je ne te gronde pas, je ne veux pas t’humilier ; je veux t’éclairer et te préserver justement de l’humiliation dont l’idée t’est si pénible. Parle-moi franchement : aimes-tu ce jeune homme ?

— Moi ? Pas du tout, Dieu merci ! s’écria Éveline, furieuse contre Thierray pour lui avoir attiré cette scène.

— Eh bien, tant pis ! répondit Dutertre ; car il a du mérite, un nom honorable dans les arts, du talent, une grande délicatesse de sentiments et une véritable élévation d’idées et de caractère.

— Vous croyez ? dit Éveline, à qui cet éloge de Thierray ne déplut pas. Je ne sais pas tout cela, moi ; je ne l’ai pas examiné à ce point.

— Mais, moi, reprit Dutertre, je devais l’examiner, et je l’ai fait. Je devais prendre sur lui des informations minutieuses et sûres ; enfin, avant de l’introduire chez moi, je devais m’assurer que c’était un homme d’honneur, que personne au monde n’avait le droit de faire rougir. C’est là le premier point, le point essentiel dans la société. Quant aux détails, je ne me crois point infaillible dans l’observation, et je ne crois, pas non plus que Thierray soit sans défauts ; mais, comme je n’ai jamais pensé qu’il existât sur la terre un seul homme à l’abri de tout travers et de toute imperfection, j’ai jugé que, dans le cas où le spectacle de notre heureuse famille le ferait penser au mariage, et dans le cas où une de mes filles apprécierait ses qualités, Thierray serait un des