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Page:Sand - Mont-Reveche.djvu/246

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aller, comme le vent qui souffle et comme la feuille que le vent emporte. »

Et Thierray finit par se dire tout bas :

— Oui, oui, tout cela signifie : « Épousez-moi, car je vous aime ; mais soyez philosophe, car vous aurez sans doute grand besoin de l’être. »

Et la tristesse le prit comme il ramenait sa fiancée au château. Le soleil déclinait, l’air devenait humide. Une sorte de froid passait dans l’âme de Thierray, avec cet invincible ennui qu’éprouve un esprit brillant mais sérieux, dans le contact prolongé d’un esprit charmant mais fantasque.

Nathalie parut au dîner avec une figure très-problématique. Elle avait un éclair dans les yeux, un sourire sur les lèvres, qui la rendaient fort belle et un peu effrayante.

— J’ai reçu, dit-elle à Thierray, les vers que vous m’annonciez. Ils sont ravissants. Je garderai ce petit chef-d’œuvre pour l’étudier toute ma vie !

Sa voix étrange fit tressaillir Dutertre. Éveline dit en riant à sa sœur :

— Pourquoi donc nous dis-tu cela du ton de lady Macbeth ?

Nathalie baissa les yeux, serra les lèvres et ne répondit pas.

Elle ne reparla plus à Thierray de ses vers. Ce silence lui parut étrange. Quatre cents vers valaient bien au moins quatre petites phrases d’approbation ou de remercîment, à une par centaine. Elle semblait vouloir en faire un mystère entre elle et le poëte qui les lui avait adressés. Éveline s’en inquiéta, et, trop franche pour le cacher, elle tourmenta sa sœur toute la soirée devant Thierray, pour que l’épître lui fût communiquée. Nathalie refusa net,