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Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/190

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ise des Cordeliers, où ce que je vis m’expliqua ce qui m’avait étonnée dans l’église déserte de Limoges. Elle monta une colline de gazon qui était dressée à la place de l’autel et qui représentait, disait-on, la montagne. Au plus haut de cette butte était assis un homme à longue barbe qui figurait, selon les uns, le Temps, selon les autres, le Père éternel ; c’était un ouvrier savonnier[1] dont j’ai oublié le nom. Au bas de la montagne, un enfant demi-nu représentait l’enfant de l’amour. On fit des discours, on chanta je ne sais quoi. J’assistai à cette chose insensée comme si je faisais un rêve, et je crois bien que personne n’était plus avancé que moi. Ces fêtes républicaines étaient de pure fantaisie. Le conseil de la commune en discutait le programme présenté par les sociétés populaires, et le peuple les interprétait à sa guise.


Au sortir du temple, je vis une scène plus significative. La marquise, au moment de remonter sur son char de déesse, avisa parmi les curieux un bourgeois de la ville que l’on soupçonnait de royalisme. Elle l’appela par son nom que j’ai oublié aussi, et lui dit effrontément :

— Viens ici me servir de marchepied !

Il avait peur, il approcha et mit un genou en terre. Elle plaça son pied sur lui et sauta lestement dans le char.

Je jugeai que tout le monde était devenu fou, et, après avoir vendu quelques paniers, je revins dire à Émilien ce que j’avais vu, en lui portant son dîner, auquel je joignis furtivement quelque chose de mieux

  1. Il s’appelait Marin. Voir les intéressants détails publiés dans le Progrès du Centre, par M. le docteur Fauconneau-Dufrène.