Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/222

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capable d’y demeurer hiver comme été, puisque vous y avez mis une cheminée. Il ne s’en souciait pas, à cause du froid et des esprits qui l’ont bien molesté quelquefois ; mais, si vous lui dites qu’il n’y en a point…, dame ! vous serez le seul, car personne, même en plein jour, n’aime à passer par là. L’endroit est réputé très mauvais depuis le lit du ruisseau jusqu’à l’endroit appelé le _bois de Bassoule, _et, comme il y a l’autre ruisseau qui coule de l’autre côté, ça fait quasiment une lieue de terrain qu’on appelle _l’île aux Fades._

Après avoir ainsi expliqué à Dumont la cause de la solitude dont nous jouissions, cet homme lui fit quelques questions sur son pays, sur ses deux enfants, sur le genre d_’estropiaison _de l’aîné. Dumont lui fit les réponses dont nous avions arrêté le programme, afin d’être d’accord ensemble en cas de recherches ; mais il vit bien que nous étions en lieu sûr, car le carrier, sans aucune méfiance d’un pauvre homme comme lui, lui dit en le quittant :

— C’est un bonheur pour votre pauvre gars qu’il soit abîmé comme il est. J’en ai un qui est un homme superbe, et, depuis six mois, je le cache à la maison en le faisant passer pour malade ; et le garçon s’ennuie de ne point sortir. Il était fiancé avec une fille qu’il ne peut plus aller voir. Que voulez-vous ! quand ils me l’auront fait tuer ou mourir de froid et de misère, qui est-ce qui me cultivera mon bien ?

— C’est juste, répondit Dumont ; mais ne craignez-vous point les gendarmes ?

— Quels gendarmes ? il n’y en a plus.

— Mais les volontaires qui se mettent en chasse pour faire plaisir aux maires ?