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Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/255

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te se donner pour un jeune paysan orphelin et il m’a donné tant de bonnes raisons et montré tant de volonté que j’ai dû me soumettre ; mais je n’en suis pas moins cassé en quatre, et j’allais te retrouver, mon enfant, pour que tu m’empêches de mourir de chagrin.

— Vous croyez donc que je suis bien solide ? lui dis-je en me laissant tomber sur l’herbe ; eh bien, si vous êtes cassé en quatre, je suis brisée en miettes, moi, et je voudrais pouvoir mourir ici !

Je manquais tout à fait de cœur et ce pauvre homme si affligé fut, pour la première fois, obligé de me consoler. Je ne me révoltais pas contre la décision d’Émilien, elle était depuis longtemps prévue et acceptée avec le respect que je devais à son caractère. Je savais bien qu’il devait s’en aller, que mon bonheur devait finir, que je n’en avais plus que pour une petite saison ; mais qu’il fût parti comme cela sans me dire adieu, qu’il eût douté à ce point de mon courage et de ma soumission, voilà ce que je trouvais plus cruel que tout le reste, et si humiliant pour moi, que je ne pus me résoudre de m’en plaindre à Dumont.

— Allons, lui dis-je en me relevant, voilà qui est accompli, il l’a voulu ! S’il voyait notre abattement, il nous en blâmerait. Revenez à la maison. Je ne suis pas en état de repartir pour le moutier avant demain, et je ne suis pas fâchée, moi, de dire adieu à cette pauvre île aux Fades, où nous aurions pu rester encore un peu de temps, plus heureux qu’auparavant, puisque nous nous y serions connus en sûreté. Il n’a pas voulu de ce reste de bonheur. Sa volonté soit faite !

— Retournons à l’île aux Fades, reprit Dumont ; nous