Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/266

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comprenait guère, mais il y avait dans l’air comme un souffle nouveau. La terreur s’effaçait, la terreur allait finir. Bien ou mal employée, la liberté est un bien.

C’est à la fin d’août que je reçus la troisième lettre d’Émilien. Je fus bien étonnée de voir qu’il semblait regretter Robespierre et les jacobins. Il ne les aimait pourtant pas, mais il disait que la France devenait royaliste et que l’armée avait peur d’être trahie. Lui si doux et si patient, il était en colère contre les gens qui se disputaient le pouvoir au lieu de songer à la défense du pays. Il ne semblait plus aller à la bataille pour son honneur seulement ; on eût dit qu’il y allait pour son plaisir et que la rage des armées lui était entrée dans le cœur comme aux autres. Il m’annonçait qu’il avait déjà obtenu un petit grade pour avoir bien fait son devoir. Quelques semaines plus tard, il nous apprit qu’il était officier.

— Voyez-vous ça ? s’écria le prieur. Il est capable de revenir général.

Cette réflexion me donna bien à penser. Il n’y avait rien d’impossible à ce qu’Émilien eût une brillante carrière militaire comme tant d’autres dont j’entendais parler. Alors, il ne se soucierait plus, pour son compte, du sort réservé à la noblesse ; il serait au-dessus de ses désastres ou de ses dédains. Il deviendrait riche et puissant. Il ne devait donc pas épouser une paysanne ! Son bon cœur le lui conseillait ; mais la paysanne ne devait pas consentir à ce sacrifice.

Je me sentis d’abord très abattue, et puis je m’habituai à cette idée que je garderais son estime plus haute et lui prouverais un attachement plus noble en