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Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/27

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— Ça se peut bien. J’aime mieux attendre, puisque vous le souffrez un peu chez vous.

— Chez moi ? Je n’ai pas de chez moi, ma petite, et je n’en aurai jamais. On m’a élevé dans cette idée-là que rien ne devait m’appartenir, et toi qui as un mouton, tu es plus riche que moi.

— Et ça vous fait de la peine de ne rien avoir ?

— Non, pas du tout ; je suis content de n’avoir pas à me donner de mal pour des biens périssables.

Périssables ? Ah ! oui, mon mouton peut périr !

— Et vivant, il te donne du souci ?

— Sans doute, mais je l’aime et ne regrette pas mon soin. Vous n’aimez donc rien, vous ?

— J’aime tout le monde.

— Mais pas les moutons ?

— Je ne les aime ni ne les hais.

— C’est pourtant des bêtes bien douces. Est-ce que vous aimez les chiens ?

— J’en ai eu un que j’aimais. On n’a pas voulu qu’il me suive au couvent.

— Alors vous avez du chagrin d’être comme ça tout seul de chez vous, en pénitence chez les autres ?

Il me regarda d’un air étonné, comme s’il n’avait pas encore pensé à ce que je lui disais, et puis, il répondit :

— Je ne dois me faire de peine à propos de rien. On m’a toujours dit : « Ne vous mêlez de rien, ne vous attachez à rien, apprenez à ne vous affecter de rien. C’est votre devoir et vous n’aurez de bonheur qu’en faisant votre devoir. »

— C’est drôle, ça ! mon grand-oncle me dit tout à fait la même chose ; mais il dit que mon devoir est de