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Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/272

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pris conseil de l’ancien maire, car le prieur voyait ces choses-là petitement et au jour le jour. Le père Chenot était plus entendu et plus prévoyant. Il manquait de hardiesse ; il avait fait lentement sa fortune sous la monarchie, et, devant la situation nouvelle, il eût pu faire de meilleures affaires ; mais il les exposait et les démontrait fort bien ; seulement, il avait peur, et n’osait rien pour son compte, la politique l’empêchait de dormir. Il rêvait avec épouvante la restitution des biens nationaux, et, dans ces moments-là, il redevenait démocrate et regrettait M. de Robespierre.

Je fis le compte de mon argent. Déduction faite de ce qui m’avait été prêté par M. Costejoux et de ce qui lui était dû encore pour les profits de son domaine, mon encaisse personnelle résultant de la récolte de Crevant, des leçons que j’avais données et que je donnais encore, des petits profits sur mes bêtes et sur la location de ma maison depuis que mes cousins ne l’habitaient plus, était de trois cents livres quatorze sous six deniers. C’est avec cette belle somme que je me mis en tête de racheter le moutier et ses dépendances, de l’augmenter d’achats de détails successifs, et de reconstituer une terre aussi importante et de meilleur rapport que celle que les moines avaient possédée. Je ne confiai mon rêve à personne. La raillerie tue l’inspiration et on ne vient à bout que de ce dont on ne permet ni aux autres ni à soi de douter. Je commençai par acheter avec le tiers de mon capital un terrain inculte, qu’avec le second tiers je fis cultiver, enclore, semer et fumer. On déclara que j’étais folle et que je prenais le _vrai bon chemin _pour perdre le tout. Le paysan de ce temps-là donnait à la terre son temps et