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Page:Sand - Narcisse, 1884.djvu/111

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coup à mes propres yeux ! Tenez, tenez, il faut que je vous dise tout ; ne m’en empêchez pas, je m’en sens le courage aujourd’hui. Demain, je ne l’aurais peut-être plus.

» Quand Albany m’eut écrit la dernière de ces lettres, il arriva tout à coup à la Faille avec une troupe chantante, il y a de cela six semaines. Je refusai de le recevoir. J’avais espéré qu’il renoncerait à sa mauvaise vie ; je ne croyais pas à la déférence d’un homme qui se jouait ainsi de ses bonnes résolutions, et qui demandait les conseils de l’amitié pour ne pas les suivre. Dans ma vie oisive, au point de vue de la personnalité, j’avais, j’en conviens, subi une sorte de charme et goûté un plaisir qui ressemblait, si j’ose ainsi parler, à un amusement sérieux, en recevant ses lettres.

» Nous autres recluses, nous ne savons rien du cœur humain, et, quand nous avons passé dix ans à oublier la vie de relations et à nous sentir étrangères à la société, nous n’avons guère sujet, convenez-en, de nous méfier de nous-mêmes. On nous représente toujours comme des âmes en peine, dévorées de regrets, d’ennuis, de rêves funestes. Je crois bien que le cloître a caché des larmes, étouffé des victimes ; mais ces temps ne sont plus. On ne force plus personne à s’immoler, on ne sacrifie plus les filles pour établir leurs frères. Les lois ne ratifient plus les vœux éternels. Toute religieuse qui regrette sa liberté