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Page:Sand - Narcisse, 1884.djvu/122

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dans le cloître, où, je l’ai reconnu peu à peu, l’on ne rend véritablement service qu’aux siens, c’est-à-dire aux gens qui pensent comme vous ? C’est un sanctuaire où les dévots affluent, et dont les impies n’osent approcher ; et, pourtant, les croyants n’ont pas réellement besoin de nous ; ce sont les désespérés qu’il faudrait sauver. Laissez-moi donc essayer de sauver Albany, et ne dites pas que je me fie à lui. Non, je ne m’y fie pas, et je sais que le mal me le dispute avec des armes plus fortes sur lui que les miennes. Est-ce une raison pour que je l’abandonne ? Ne lui ai-je pas déjà fait quelque bien ? Est-ce la coutume, d’ailleurs, de laisser sans secours et sans assistance morale les malades condamnés ? Ne leur doit-on pas des consolations et des encouragements jusqu’à la dernière heure ?

» Où donc est le danger pour moi, je vous prie ? Vous craignez que je ne vienne à aimer trop cet homme ? Que signifie trop pour un être comme moi ? L’amour est-il possible à qui sait ne pouvoir l’inspirer ? Cet être-là serait fou, qui se dirait : « J’aime, en vue de moi-même, un être nécessairement et fatalement ingrat envers moi. » Non ! non ! je ne suis ni méfiante, ni confiante ! Mon rôle est la neutralité absolue, l’impersonnalité ! J’ai trouvé pour moi ce mot-là, et j’aime à me le répéter. Ne suis-je point ici, en dehors de toute convenance sociale, en rendez-vous avec vous deux ? Toute autre femme que moi