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Page:Sand - Narcisse, 1884.djvu/54

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Nous commençâmes la partie sans rien dire. J’étais un joueur des plus médiocres, mais je n’eus point à en rougir. Il me gagna sans quitter la queue ; après quoi, il me salua poliment et voulut se retirer. Je lui offris à déjeuner, quoique j’eusse déjeuné moi-même. Il refusa, j’insistai. J’étais réellement curieux de connaître un homme qui, dans cette situation, avait pu se faire aimer d’une espèce de sainte.

— J’accepte, me dit-il enfin, parce que nous n’avons rien joué et que vous ne me devez rien.

Cette préoccupation persistante me sembla confirmer la maussade vérité, et, dès que nous fûmes à table dans un coin assez tranquille de l’établissement, j’abordai franchement la question.

— Pourquoi, lui dis-je, êtes-vous si inquiet de ce que l’on peut penser de votre habileté au jeu ?

— Que voulez-vous ! répondit-il, quand on est malheureux, on est toujours accusé, et je sais fort bien ce que l’on dit de moi dans cette sale bicoque de petite ville. Au reste, c’est ainsi partout : les gens vous provoquent, et si, par complaisance ou par modestie, on ne leur montre pas tout d’un coup ce que l’on sait faire, ils vous reprochent de les avoir enferrés pour les rançonner. Vaniteux et avares, voilà les provinciaux.

— C’est possible, repris-je, je ne connais pas encore ceux-ci ; je suis, comme ils disent, un étranger, c’est-à-