Page:Sand - Narcisse, 1884.djvu/76

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nous est fort égal, à nous autres, qu’il en ait une de plus ou de moins ; mais, quand j’ai su la chose, j’ai trouvé que la limite entre votre enclos et le nôtre était un endroit mal choisi pour ses rendez-vous galants ; qu’il compromettait, par là, l’honneur de votre couvent en même temps qu’il abîmait mon jardin, et je me suis promis de le guetter avec un bon gourdin ou un bon fusil de chasse, pour le guérir de cette fantaisie.

Mademoiselle d’Estorade redevint pâle, et, oubliant tout à coup les dix années d’absence et de retraite qui séparaient le passé du présent, elle parla au cafetier comme elle lui eût parlé dans son enfance, à Estorade.

— Narcisse, dit-elle vivement, ne fais pas cela !

Elle rougit, et, se reprenant :

— Ne faites pas de scandale et n’accusez personne… Non, non, je ne dois pas le souffrir, je ne le souffrirai pas ! Aucune de mes religieuses, aucune de mes élèves ou même de mes ouvrières ne sera soupçonnée à ma place. C’est moi, moi seule que vous perdrez, si le cœur de l’un de vous, messieurs, et l’honneur de l’autre ne prennent pas ma défense. C’est moi qui ai été vue sous ce grand chapeau, derrière cette palissade. Oui, Narcisse, c’est moi, Juliette, votre amie d’enfance, qui ai reçu les billets et accepté les rendez-vous de M. Alban Gerbier le chanteur.

Elle parla ainsi debout avec une exaltation fébrile. Elle