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Page:Sand - Narcisse, 1884.djvu/93

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non partagée dans le mariage, que j’aspirai dès lors, sinon au cloître, du moins à la solitude, et j’étais, en quelque sorte, satisfaite de me dire :

» — Eh bien, puisque je suis ou dois être contrefaite, n’est-ce pas tant mieux pour moi ? Je ne me ferai pas de vaines illusions, et, sans espoir possible d’être aimée, je n’aimerai jamais que celui qui ne prise et ne récompense que la beauté de l’âme.

» Ce n’est pas ici le lieu de dire quel coup me porta la mort de ma mère. Je ne le pourrais pas, d’ailleurs. Je n’avais aimé exclusivement qu’elle au monde. Depuis longtemps, je la voyais dépérir, et je me faisais l’illusion que ma tendresse et mes soins prolongeraient sa vie. Je restai seule sur la terre. Une excellente amie d’enfance, Louise Pardoux, songea bien à venir habiter avec moi ; mais nous étions trop jeunes pour rester ainsi, sans chaperon, à la campagne. Sa sœur, que j’aimais aussi, allait se marier. Une de mes tantes, qui était bonne et riche, m’emmena en Touraine, dans une très-belle propriété, où elle voyait du monde.

» J’avais dix-huit ans, et tout, dans ce brillant monde, était nouveau pour moi. Mes cousines étaient belles et recherchées ; je ne sentis point de jalousie contre elles, mais je sentis bien mon infériorité, et, tout en les aimant sans effort, je m’attachai de plus en plus à l’idée du célibat.