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Page:Sand - Nouvelles (1867).djvu/104

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triomphe que vous en attendiez peut-être. Puis vous auriez perdu le contentement de vous-même en n’obtenant pas l’admiration sur laquelle vous comptiez. Qui sait ! j’aurais peut-être moi-même oublié trop vite ce qu’il y avait de beau dans votre retour, et accepté votre amour nouveau comme une réparation due à votre honneur. Oh ! ne gâtons pas cette heure d’élan et de confiance que nous avons goûtée ce soir ; gardons-en le souvenir, mais ne cherchons pas à la retrouver.

» N’ayez aucune crainte d’amour-propre en ce qui concerne le comte de Morangy ; je ne l’ai jamais aimé. Il est un des mille impuissants qui n’ont pu (moi aidant, hélas !) faire palpiter mon cœur éteint. Je ne voudrais pas même de lui pour époux. Un homme de son rang vend toujours trop cher la protection qu’il accorde, en la faisant sentir. Et puis je hais le mariage, je hais tous les hommes, je hais les engagements éternels, les promesses, les projets, l’avenir arrangé à l’avance par des contrats et des marchés dont le destin se rit toujours. Je n’aime plus que les voyages, la rêverie, la solitude, le bruit du monde, pour le traverser et en rire, puis la poésie pour supporter le passé, et Dieu pour espérer l’avenir. »


Sir Lionel Bridgemont éprouva d’abord une grande mortification d’amour-propre ; car, il faut le dire pour consoler le lecteur qui s’intéresserait trop à lui, depuis quarante heures il avait fait bien des réflexions. D’abord il songea à monter à cheval, à suivre lady Blake, à vaincre sa résistance, à triompher de sa froide raison. Et puis il songea qu’elle pourrait bien persister dans son refus, et que, pendant ce temps, miss Ellis pourrait bien s’offenser de sa conduite et repousser son alliance…