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Page:Sand - Nouvelles (1867).djvu/108

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— C’est l’affaire d’une heure, répondit le postillon à demi débotté ; nous allons nous mettre tout de suite à manger l’avoine.

Le domestique jura ; une jeune et jolie femme de chambre qui avançait à la portière sa tête entourée de foulards en désordre, murmura je ne sais quelle plainte touchante sur l’ennui et la fatigue des voyages. Quant à la personne qu’escortaient ces deux laquais, elle descendit lentement sur le pavé humide et froid, secoua sa pelisse doublée de martre, et prit le chemin de la cuisine sans proférer une seule parole.

C’était une jeune femme d’une beauté vive et saisissante, mais pâlie par la fatigue. Elle refusa l’offre d’une chambre, et, tandis que ses valets préféraient s’enfermer et dormir dans la berline, elle s’assit, devant le foyer, sur la chaise classique, ingrat et revêche asile du voyageur résigné. La servante, chargée de veiller son quart de nuit, se remit à ronfler, le corps plié sur un banc et la face appuyée sur la table. Le chat, qui s’était dérangé avec humeur pour faire place à la voyageuse, se blottit de nouveau sur les cendres tièdes. Pendant quelques instants, il fixa sur elle des yeux verts et luisants pleins de dépit et de méfiance ; mais peu à peu sa prunelle se resserra et s’amoindrit jusqu’à n’être plus qu’une mince raie noire sur un fond d’émeraude. Il retomba dans le bien-être égoïste de sa condition, fit le gros dos, ronfla sourdement en signe de béatitude, et finit par s’endormir entre les pattes d’un gros chien qui avait trouvé moyen de vivre en paix avec lui, grâce à ces perpétuelles concessions que, pour le bonheur des sociétés, le plus faible impose toujours au plus fort.

La voyageuse essaya vainement de s’assoupir. Mille images confuses passaient dans ses rêves et la réveillaient en sursaut. Tous ces souvenirs puérils qui obsè-