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Page:Sand - Nouvelles (1867).djvu/122

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— Non, maman, répondit Pauline, ce n’est pas madame Ducornay.

— Qui donc ? reprit l’aveugle en étendant le bras.

— Devinez, dit Pauline en faisant signe à Laurence de toucher la main de sa mère.

— Que cette main est douce et petite ! s’écria l’aveugle en passant ses doigts noueux sur ceux de l’actrice. Oh ! ce n’est pas madame Ducornay, certainement. Ce n’est aucune de nos dames ; car, quoi qu’elles fassent, à la patte on reconnaît toujours le lièvre. Pourtant je connais cette main-là. Mais c’est quelqu’un que je n’ai pas vu depuis longtemps. Ne saurait-elle parler ?

— Ma voix a changé comme ma main, répondit Laurence, dont l’organe clair et frais avait pris, dans les études théâtrales, un timbre plus grave et plus sonore.

— Je connais aussi cette voix, dit l’aveugle, et pourtant je ne la reconnais pas.

Elle garda quelques instants le silence sans quitter la main de Laurence, en levant sur elle ses yeux ternes et vitreux, dont la fixité était effrayante.

— Me voit-elle ? demanda Laurence bas à Pauline.

— Nullement, répondit celle-ci ; mais elle a toute sa mémoire ; et, d’ailleurs, notre vie compte si peu d’événements, qu’il est impossible qu’elle ne te reconnaisse pas tout à l’heure.

À peine Pauline eut-elle prononcé ces mots, que l’aveugle, repoussant la main de Laurence avec un sentiment de dégoût qui allait jusqu’à l’horreur, dit de sa voix sèche et cassée :

— Ah ! c’est cette malheureuse qui joue la comédie ! Que vient-elle chercher ici ? Vous ne deviez pas la recevoir, Pauline !

— Ô ma mère ! s’écria Pauline en rougissant de honte