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Page:Sand - Nouvelles (1867).djvu/16

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Je n’avais jamais trouvé un grand charme dans la société de cette marquise. Elle ne me semblait remarquable que pour la prodigieuse mémoire qu’elle avait conservée du temps de sa jeunesse, et pour la lucidité virile avec laquelle s’exprimaient ses souvenirs. Du reste, elle était, comme tous les vieillards, oublieuse des choses de la veille et insouciante des événements qui n’avaient point sur sa destinée une influence directe.

Elle n’avait pas eu une de ces beautés piquantes qui, manquant d’éclat et de régularité, ne pouvaient se passer d’esprit. Une femme ainsi faite en acquérait pour devenir aussi belle que celles qui l’étaient davantage. La marquise, au contraire, avait eu le malheur d’être incontestablement belle. Je n’ai vu d’elle que son portrait, qu’elle avait, comme toutes les vieilles femmes, la coquetterie d’étaler dans sa chambre à tous les regards. Elle y était représentée en nymphe chasseresse, avec un corsage de satin imprimé imitant la peau de tigre, des manches de dentelle, un arc de bois de sandal et un croissant de perles qui se jouait sur ses cheveux crêpés. C’était, malgré tout, une admirable peinture, et surtout une admirable femme : grande, svelte, brune, avec des yeux noirs, des traits sévères et nobles, une bouche vermeille qui ne souriait point, et des mains qui, dit-on, avaient fait le désespoir de la princesse de Lamballe. Sans la dentelle, le satin et la poudre, c’eût été vraiment là une de ces nymphes fières et agiles que les mortels apercevaient au fond des forêts ou sur le flanc des montagnes pour en devenir fou d’amour et de regret.

Pourtant la marquise avait eu peu d’aventures. De son propre aveu, elle avait passé pour manquer d’esprit. Les hommes blasés d’alors aimaient moins la beauté pour elle-même que pour ses agaceries coquettes. Des