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Page:Sand - Nouvelles (1867).djvu/193

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rait qu’elle était indépendante, majeure, maîtresse de ses actions, et nullement disposée à se laisser enchaîner par les volontés arbitraires d’une personne qui l’avait indignement trompée, elle fut forcée de lui dire qu’elle ne pouvait donner les mains à sa perte, et qu’elle ne se pardonnerait jamais de tolérer dans sa maison, dans le sein de sa famille, les entreprises d’un corrupteur et d’un lâche.

— Je réponds de toi devant Dieu et devant les hommes, lui dit-elle ; si tu veux te jeter dans un abîme, je ne veux pas, moi, t’y pousser.

— C’est pourquoi votre dévouement a été si loin, répondit Pauline, que de vouloir vous y jeter vous-même à ma placé.

Outrée de cette injustice et de cette ingratitude, Laurence se leva, jeta un regard terrible sur Pauline et craignant de laisser déborder le torrent de sa colère, elle lui montra la porte avec un geste et une expression de visage dont elle fut terrifiée. Jamais la tragédienne n’avait été plus belle, même lorsqu’elle disait, dans Bajazet, son impérieux et magnifique Sortez !

Lorsqu’elle fut seule, elle se promena dans sa chambre comme une lionne dans sa cage, brisant ses vases étrusques, ses statuettes, froissant ses vêtements et arrachant presque ses beaux cheveux noirs. Tout ce qu’elle avait de grandeur, de sincérité, de véritable tendresse dans l’âme, venait d’être méconnu et avili par celle qu’elle avait tant aimée, et pour qui elle eût donné sa vie ! Il est des colères saintes où Jéhovah est en nous, et où la terre tremblerait si elle sentait ce qui se passe dans un grand cœur outragé. La petite sœur de Laurence entra, crut qu’elle étudiait un rôle, la regarda quelques instants sans rien dire, sans oser remuer ;