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Page:Sand - Nouvelles (1867).djvu/206

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fière. Je serais bien fâchée qu’elle fût pour vous un sujet de contrariété, et vous savez que j’ai droit de la morigéner. Aurait-elle une amourette ? refuserait-elle d’épouser son cousin Checo ?

M. Spada, dont toutes ces interrogations augmentaient terriblement la souffrance, essaya respectueusement de les éluder ; mais Veneranda, ayant flairé là l’odeur d’un secret, s’acharnait à sa proie, et le bonhomme, quoique assez honteux de ce qu’il avait à dire, ayant une juste confiance en la bonté de la princesse, et d’ailleurs aimant à parler comme un Vénitien, c’est-à-dire presque autant qu’une Grecque, se résolut à confesser le sujet de sa préoccupation.

— Hélas ! brillante Excellence (chiarissima), dit-il en prenant une prise de tabac imaginaire dans sa tabatière vide, c’est en effet ma fille qui cause le chagrin que je ne puis dissimuler. Votre Seigneurie sait bien que Mattea est en âge de songer à autre chose qu’à des poupées.

— Sans doute, sans doute, elle a tantôt cinq pieds de haut, répondit la princesse, la plus belle taille qu’une femme puisse avoir ; c’est précisément ma taille. Cependant elle n’a pas plus de quatorze ans ; c’est ce qui la rend un peu excusable ; car, après tout, c’est encore une enfant incapable d’un raisonnement sérieux. D’ailleurs, le précoce développement de sa beauté doit nécessairement lui donner quelque impatience d’être mariée.

— Hélas ! reprit ser Zacomo, Votre Seigneurie sait combien ma fille est admirée, non-seulement par tous ceux qui la connaissent, mais encore par tous ceux qui passent devant notre boutique. Elle sait que les plus élégants et les plus riches seigneurs s’arrêtent des heures entières devant notre porte, feignant de causer entre eux ou d’attendre quelqu’un, pour jeter de fréquents regards sur le comptoir où elle est assise auprès de sa