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Page:Sand - Nouvelles (1867).djvu/231

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pagne, cela te distraira ; personne ne te tourmentera plus, et tu oublieras ce Turc. Voyons, promets-le-moi.

— Mon père, dit Mattea, il ne dépend pas de moi de l’oublier ; car croyez bien que mon amour pour lui n’est pas volontaire, et que je n’y céderai jamais si le sien n’y répond pas.

— Ce qui me rassure, dit M. Zacomo en riant, c’est que le sien n’y répond pas du tout…

— Qu’en savez-vous, mon père ? dit Mattea poussée par un mouvement d’orgueil blessé.

Cette parole fit frémir Spada de crainte et de surprise.

— Peut-être se sont-ils entendus, pensa-t-il ; peut-être l’aime-t-il et l’a-t-il séduite par l’entremise du Grec, si bien que rien ne pourra l’empêcher de courir à sa perte.

Mais, en même temps qu’il s’effrayait de cette supposition, je ne sais comment les deux mille sequins, le bâtiment smyrniote et la soie blanche lui revinrent en mémoire, et son cœur bondit d’espérance et de désir. Je ne veux pas savoir non plus par quel fil mystérieux l’amour du gain unit ces deux sentiments opposés, et fit que Zacomo se promit d’éprouver les sentiments d’Abul pour sa fille, et de les exploiter en lui donnant une trompeuse espérance. Il y a tant d’honnêtes moyens de vendre la dignité d’une fille ! cela peut se faire au moyen d’un regard qu’on lui permet d’échanger en détournant soi-même la tête et en fredonnant d’un air distrait. Spada entendit l’horloge de la place sonner l’heure de son rendez-vous avec Abul. Le temps pressait ; tant de chalands pouvaient être déjà dans le port autour du bâtiment smyrniote !

— Allons, prends ton voile, dit-il à sa fille, et viens faire un tour de promenade. La fraîcheur du soir te fera du bien, et nous causerons plus tranquillement.