Aller au contenu

Page:Sand - Nouvelles (1867).djvu/47

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vous êtes tout cela, madame, je le sais. Le monde vous accuse de froideur et de dévotion outrée, moi seul je vous juge et je vous connais. Un seul de vos sourires, une seule de vos larmes, ont suffi pour démentir les fables stupides qu’un chevalier de Brétillac m’a débitées contre vous.

» Mais quelle destinée est donc aussi la vôtre ? quelle étrange fatalité pèse donc sur vous comme sur moi, pour qu’au sein d’un monde si brillant et qui se dit si éclairé, vous n’ayez trouvé pour vous rendre justice que le cœur d’un pauvre comédien ? Eh bien, rien ne m’ôtera cette pensée triste et consolante : c’est que, si nous étions nés sur le même échelon de la société, vous n’auriez pas pu m’échapper, quels qu’eussent été mes rivaux, quelle que soit ma médiocrité. Il aurait fallu vous rendre à une vérité, c’est qu’il y a en moi quelque chose de plus grand que leurs fortunes et leurs titres, la puissance de vous aimer.

» Lélio. »


— Cette lettre, continua la marquise, étrange pour le temps où elle fut écrite, me sembla, malgré quelques souvenirs de déclamation racinienne qui percent dans le commencement, tellement forte et vraie, j’y trouvai un sentiment de passion si neuf et si hardi, que j’en fus bouleversée. Le reste de fierté qui combattait en moi s’évanouit. J’eusse donné tous mes jours pour une heure d’un pareil amour.

» Je ne vous raconterai pas mes anxiétés, mes fantaisies, mes terreurs ; moi-même, je ne pourrais en retrouver le fil et la liaison. Je répondis quelques mots que voici, autant que je me les rappelle :


« Je ne vous accuse pas, Lélio, j’accuse la destinée ;