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Page:Sand - Nouvelles (1867).djvu/54

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jarretière étaient en ruban rouge cerise ; un court manteau de même couleur était jeté sur son épaule. Il avait une énorme fraise de point d’Angleterre, les cheveux courts et sans poudre ; une toque ombragée de plumes blanches se balançait sur son front, où brillait une rosace de diamants. C’était dans ce costume qu’il venait de jouer le rôle de don Juan du Festin de Pierre. Jamais je ne l’avais vu aussi beau, aussi jeune, aussi poétique que dans ce moment. Vélasquez se fût prosterné devant un tel modèle.

» Il se mit à mes genoux. Je ne pus m’empêcher de lui tendre la main. Il avait l’air si craintif et si soumis ! Un homme épris au point d’être timide devant une femme, c’était si rare dans ce temps-là ! et un homme de trente-cinq ans, un comédien !

» N’importe : il me sembla, il me semble encore qu’il était dans toute la fraîcheur de l’adolescence. Sous ces blancs habits, il ressemblait à un jeune page ; son front avait toute la pureté, son cœur agité toute l’ardeur d’un premier amour. Il prit mes mains et les couvrit de baisers dévorants. Alors je devins folle ; j’attirai sa tête sur mes genoux ; je caressai son front brûlant, ses cheveux rudes et noirs, son cou brun, qui se perdait dans la molle blancheur de sa collerette… et Lélio ne s’enhardit point. Tous ses transports se concentrèrent dans son cœur ; il se mit à pleurer comme une femme ; je fus inondée de ses sanglots.

» Oh ! je vous avoue que j’y mêlai les miens avec délices. Je le forçai de relever sa tête et de me regarder. Qu’il était beau, grand Dieu ! que ses yeux avaient d’éclat et de tendresse ! que son âme vraie et généreuse prêtait de charmes aux défauts mêmes de sa figure et aux outrages des veilles et des années ! Oh ! la puissance de l’âme ! qui n’a pas compris ses miracles n’a jamais