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Page:Sand - Nouvelles (1867).djvu/80

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de situation prévue, Lavinia croyait pourtant faire un rêve. Elle se rappelait le temps où il lui aurait été impossible de revoir sir Lionel sans tomber morte de colère et de douleur. Et maintenant elle était là, douce, calme, indifférente peut-être…

Lionel se retourna machinalement, et la vit. Il ne s’y attendait pas ; un cri lui échappa ; puis, honteux d’une telle inconvenance, confondu de ce qu’il éprouvait, il fit un violent effort pour adresser à lady Lavinia un salut correct et irréprochable.

Mais, malgré lui, un trouble imprévu, une agitation invincible paralysait son esprit ingénieux et frivole, cet esprit si docile, si complaisant, qui se tenait toujours prêt, suivant les lois de l’amabilité, à se jeter tout entier dans la circulation, et à passer, comme l’or, de main en main pour l’usage du premier venu. Cette fois, l’esprit rebelle se taisait et restait éperdu à contempler lady Lavinia.

C’est qu’il ne s’attendait pas à la revoir si belle… Il l’avait laissée bien souffrante et bien altérée. Dans ce temps-là, les larmes avaient flétri ses joues, le chagrin avait amaigri sa taille ; elle avait l’œil éteint, la main sèche, une parure négligée. Elle s’enlaidissait imprudemment alors, la pauvre Lavinia ! sans songer que la douleur n’embellit que le cœur de la femme, et que la plupart des hommes nieraient volontiers l’existence de l’âme chez la femme, comme il fut fait en un certain concile de prélats italiens.

Maintenant, Lavinia était dans tout l’éclat de cette seconde beauté qui revient aux femmes quand elles n’ont pas reçu au cœur d’irréparables atteintes dans leur première jeunesse. C’était toujours une mince et pâle Portugaise, d’un reflet un peu bronzé, d’un profil un peu sévère ; mais son regard et ses manières avaient