Page:Sand - Nouvelles (1867).djvu/88

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— Ah ! pardonnez-moi, madame ! s’écria le comte de Morangy ; j’implore ma grâce à deux genoux. Vous voyant sortir brusquement du bal avec Pepa, j’ai cru que vous étiez malade. Ces jours derniers, vous avez été indisposée ; j’ai été si effrayé ! Mon Dieu ! pardonnez-moi ! Lavinia, je suis un étourdi, un fou… mais je vous aime tant, que je ne sais plus ce que je fais…

Pendant que le comte parlait, Lionel, à peine revenu de sa surprise, s’abandonnait à un violent accès de colère.

— Impertinente femme ! pensait-il, qui ose bien me prier d’assister à un tête-à-tête avec son amant ! Ah ! si c’est une vengeance préméditée, si c’est une insulte volontaire, qu’on prenne garde à moi ! Mais quelle folie ! si je montrais du dépit, ce serait la faire triompher… Voyons ! assistons à la scène d’amour avec le sang-froid d’un vrai philosophe.

Il se pencha vers l’embrasure de la fenêtre, et se hasarda à élargir avec le bout de sa cravache la fente que laissaient les deux rideaux en se joignant. Il put ainsi voir et entendre.

Le comte de Morangy était un des plus beaux hommes de France, blond, grand, d’une figure plus imposante qu’expressive, parfaitement frisé, dandy des pieds jusqu’à la tête. Le son de sa voix était doux et velouté. Il grasseyait un peu en parlant ; il avait l’œil grand, mais sans éclat ; la bouche fine et moqueuse, la main blanche comme une femme, et le pied chaussé dans une perfection indicible. Aux yeux de sir Lionel, c’était le rival le plus redoutable qu’il fût possible d’avoir à combattre ; c’était un adversaire digne de lui, depuis le favori jusqu’à l’orteil.

Le comte parlait français, et Lavinia répondait dans cette langue, qu’elle possédait aussi bien que l’anglais. Encore un talent nouveau de Lavinia ! Elle écoutait les