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Page:Sand - Nouvelles (1867).djvu/97

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caravane. Lavinia frémissait à la vue de ces deux écervelés courant ainsi sur le revers d’un abîme effroyable. Quand elle reconnut Lionel et son cousin, elle devint pâle et faillit tomber de cheval. Le comte de Morangy s’en aperçut et ne la quitta plus du regard. Il était jaloux.

C’était un aiguillon de plus pour Lionel. Tout le long de la journée, il disputa le moindre regard de Lavinia avec obstination. La difficulté de lui parler, l’agitation de la course, les émotions que faisait naître le sublime spectacle des lieux qu’ils parcouraient, la résistance adroite et toujours aimable de lady Blake, son habileté à guider son cheval, son courage, sa grâce, l’expression toujours poétique et toujours naturelle de ses sensations, tout acheva d’exalter sir Lionel. Ce fut une journée bien fatigante pour cette pauvre femme obsédée de deux amants entre lesquels elle voulait tenir la balance égale : aussi accueillait-elle avec reconnaissance son joyeux cousin et ses grosses folies lorsqu’il venait caracoler entre elle et ses adorateurs.

À l’entrée de la nuit le ciel se couvrit de nuages. Un orage sérieux s’annonçait. La cavalcade doubla le pas ; mais elle était encore à plus d’une lieue de Saint-Sauveur lorsque la tempête éclata. L’obscurité devint complète, les chevaux s’effrayèrent, celui du comte de Morangy l’emporta au loin. La petite troupe se débanda, et il fallut tous les efforts des guides qui l’escortaient à pied pour empêcher que des accidents sérieux ne vinssent terminer tristement un jour si gaiement commencé.

Lionel, perdu dans d’affreuses ténèbres, forcé de marcher le long du rocher en tirant son cheval par la bride, de peur de se jeter avec lui dans le précipice, était dominé par une inquiétude bien plus vive. Il avait perdu Lavinia malgré tous ses efforts, et il la cherchait avec