Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/138

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suffi à tout, et je ne me plaignais pas de ma peine. Mais ce n’est pas ce qu’on trouve à faire à présent qui peut suffire à une famille, et je ne pouvais pas vous voir souffrir plus longtemps, quand je savais que vous trouveriez dans ton pays un bon père, un asile, de la tranquillité et de quoi manger tous les jours.

Tu as dû recevoir une lettre de moi du 15 au soir, qui n’était pas longue, et qui était seulement pour te dire de n’être pas inquiète, et de ne pas croire aux fausses nouvelles qui pourraient courir dans les campagnes. Paris continue à être tranquille, comme disent les riches, c’est-à-dire qu’on ne se bat pas. Mais, pour répondre maintenant à toutes tes questions et tenir ma promesse, je vais te raconter aujourd’hui en détail comment j’ai passé la journée du 15.

D’abord je ne voulais pas aller à la manifestation, parce que je t’avais donné ma parole de ne pas chercher le danger, et même de l’éviter, tant qu’il n’y aurait pas de lâcheté à le faire. D’ailleurs, j’avais entendu dire qu’il y avait des meneurs dans tout cela, et tu sais que je ne m’occupe pas de la politique des bourgeois. J’étais donc décidé à rester tranquille, et même à ne pas aller voir ce qui se passait, quand tout à coup j’entendis battre le rappel, et je vis passer devant notre porte des gens tout effarés qui disaient :

— On se bat, on tire sur le peuple du côté de l’Assemblée nationale.

Tu comprends que je ne pouvais pas rester les bras croisés, et je me mis à courir pour savoir ce que c’était et ce que j’avais à faire.