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Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/166

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le Luxembourg avait donné prise à cette rage de peur. D’abord, dans la pressante nécessité d’organiser la délégation, pour ainsi dire séance tenante, on s’en était remis à l’arbitrage du sort. Il en résulta qu’en effet les corporations ne se trouvèrent pas représentées d’une manière assez régulière, et que le mandat des délégués ne fut ni assez significatif, ni assez appuyé par la majorité des ouvriers de Paris. Ce fut un inconvénient grave sans doute, car on l’exploita bientôt auprès d’un grand nombre d’ouvriers de Paris, pour les détacher de toute solidarité de vœux et d’intérêts avec les délégués du Luxembourg.

Cette faute, qui paraît avoir été inévitable sous la pression des circonstances, nous la regardâmes comme un malheur ; la bourgeoisie conservatrice la regarda comme un bienfait du sort, car elle en fit aussitôt un crime, et, en peu de jours, on murmura de tous côtés à l’oreille des travailleurs dépendants, comme à celle des travailleurs fiers et jaloux de leur liberté d’opinion : « Vous voyez qu’on se passe fort bien de vous au Luxembourg, et qu’on va décider là de votre sort sans vous consulter. On enrégimente, sous le titre de délégués, une bande de pédants en blouse dont on va faire des fanatiques. On leur prêche des doctrines auxquelles vous ne comprenez rien, et dont le résultat sera, un beau matin, de vous faire tous passer, bon gré, mal gré, sous le niveau du communisme immédiat. Veillez et priez, car le cataclysme est imminent. On vous dépouillera de vos biens et on brisera vos affections. Nul de vous n’aura le droit