Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/197

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Alors chaque socialiste se croit obligé d’apporter son remède, c’est-à-dire son système. Il y a de grandes vérités et de grands efforts d’intelligence dans leurs théories ; mais laquelle choisir ? Car elles se contredisent toutes essentiellement, et il n’y a rien de plus intolérant et de plus personnel qu’une théorie signée d’un nom propre. Et puis ces théories sont longues et difficiles à exposer ; et, en somme, fussent-elles parfaites, elles n’en sont que plus inapplicables à une société corrompue et troublée.

Le bon sens public a raison d’être fatigué d’entendre parler de l’idéal dans un moment où les maux sont à leur comble, et où le moindre adoucissement pratique nous vaudrait mieux que toutes les promesses et tous les rêves de l’avenir. Ce n’est donc pas le moment de rêver, on le sent, et on se plaint de l’impuissance des théories.

Et pourtant les théoriciens auraient tort de se croire forcés de répondre à des exigences désespérées. Le plus grand théoricien du monde ne peut donner que ce qu’il a, et, s’il n’a point la panacée universelle, il n’en a pas moins le droit de critiquer, au point de vue de sa croyance, ce qui se fait de mauvais et d’erroné sous ses yeux. Le xviiie siècle n’a fait que de la critique, et le xixe siècle s’en est bien trouvé ; c’est que la critique, c’est l’analyse, par laquelle l’esprit humain procède toujours dans les masses avant d’arriver à la synthèse.

C’est là le malheur de l’humanité, la cause de ses temps d’arrêt et de ses déviations dans la route du