Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/201

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depuis que le soleil et l’ombre existent, depuis que l’homme est esprit et matière, depuis qu’il faut chaud et froid sur la terre où nous vivons.

Et pourtant toutes les divisions, toutes les guerres, toutes les controverses sont nées de cette fatale opération de notre esprit, qui procède toujours par la négation d’une vérité aussi banale. On nous présente un objet ; nous le voyons du côté qui nous fait face, et nous le décrivons aussitôt tel qu’il nous apparaît ; ceux qui sont vis-à-vis de nous le voient sous un autre aspect, qui est tout aussi réel, mais qui nous échappe ; et nous voilà à disputer les uns contre les autres, aucun ne voulant faire le tour de cet objet pour en prendre une notion exacte et complète. « Il est blanc », disent ceux qui voient le côté lumineux. « Il est noir ! » disent ceux qui voient le côté sombre. Et la controverse dure des siècles, à travers des flots d’encre, de sang et de larmes.

À l’heure qu’il est, nous sommes absolument ainsi autour de la question de la propriété. « Elle est sacrée ! » disent les uns. « Elle est un vol[1] ! » disent les autres. « Donc, consacrons le droit de propriété dans son acception la plus absolue, dit la Constitution, sauf à la défendre comme nous pourrons contre ceux qui disent qu’elle est un vol. — Détruisons le principe de la propriété, disent ceux que froisse le principe ainsi entendu, sauf à respecter le fait tant que nous ne

  1. Ceci n’est point une allusion au mot de M. Proudhon qui a soulevé tant de colères. M. Proudhon n’est pas communiste et n’a pas donné à ce mot le sens qu’on lui prête.