Aller au contenu

Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/94

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

nous reverrons bientôt la lumière si toutes les mains se tiennent et si la conscience du péril empêche quelques-uns de se frayer une route à part.

Vous êtes sévère, vous êtes trop sévère parfois, permettez-moi de vous le dire, envers ceux qui tentent les voies nouvelles. Ceux mêmes qui se trompent, et qui, au lieu d’aller dans la rue par la porte de la maison, sortent par la fenêtre et marchent sur le toit, ne sont point des scélérats, ce sont des somnambules tout simplement, ne le savez-vous pas ? Et ne savez-vous pas aussi que, lorsqu’on réveille brusquement les somnambules, ils tombent et se brisent, au lieu que, si on les guide avec douceur et prudence, ils reviennent achever leur rêve dans leur lit ? La sagesse de la majorité, dans cette nuée menaçante où le premier mois de la liberté nous a forcé de nous engager tous, consisterait donc, non à repousser hors de ses rangs et à abandonner la minorité à son propre désespoir, mais à l’entraîner doucement, fût-elle folle, fût-elle somnambule. Autrement la minorité deviendra d’autant plus redoutable qu’elle sera plus fractionnée et plus impuissante en apparence. Elle jettera la confusion dans l’ordre de la marche, elle excitera toutes les passions, elle forcera la majorité à être agressive, violente, impitoyable. Ce qui vient de se passer à Rouen se passera à Paris, et, dans ce conflit déplorable, d’une part la réaction bourgeoise, de l’autre la misère, qui va toujours augmentant et dont vous ne contenez le désespoir que par l’espérance même, tomberont l’une sur l’autre, et Dieu sait