Page:Sand - Souvenirs et Idées.djvu/193

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

s’est jamais conduite depuis que le monde est monde ! Certes, ils ne me sont pas sympathiques, car je ne connais rien de plus opposé à ma nature qu’un officier prussien, mais il faut avant tout rendre justice à ses ennemis.

Pour eux, c’est une guerre nationale. L’unité allemande était leur plus haute aspiration. Ils se battent pour la consacrer. La France leur a fait la guerre, parce qu’elle voyait dans cette unité la fin de sa prépondérance militaire sur le continent. La France est battue sur un terrain qui n’était ni celui de la justice ni de la civilisation. Aujourd’hui elle combat pour l’intégrité de son territoire, c’est elle alors qui à son tour a raison, et tout ce que j’ai de cœur, de force et de volonté est pour elle, et pour elle seule !

Maintenant, on parle de Strasbourg, de sa cathédrale et de sa bibliothèque. Mais a-t-on oublié la cathédrale et la bibliothèque de Mayence, détruites de fond en comble par les Français au commencement de ce siècle ? A-t-on oublié le pays en face de Strasbourg même, ce Palatinat mis à feu et à sang par Turenne ?

Deux torts ne font pas une raison, je le sais ; mais si Ion invoque la civilisation et le progrès, je réponds qu’il n’y a rien de plus contraire à la civilisation et au progrès que la guerre. Qui dit guerre dit tout, doit s’attendre à tout, expliquer et excuser tout !

Les Prussiens en ce moment respectent les femmes et ne pillent point. Ils ne semblent même pas traîner à leur suite ces viles canailles qui sous l’habit militaire, volent et incendient, tout en rendant l’armée responsable de leurs excès. C’est la première fois que cela se voit. Il est vrai qu’ils fusillent les paysans qui non enrégimentés tirent sur eux. Les Français, et tous les peuples en guerre ont toujours agi de même. Non, à ce point de vue, la guerre s’est plutôt humanisée.