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Page:Sand - Tamaris.djvu/278

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déférence, et il était aisé de voir qu’il l’aimait de toute la force de son cœur ; mais il semblait craindre de lui déplaire en le lui témoignant, et il prodiguait à ses enfants les caresses qu’il n’osait lui faire. Ces pauvres petites, jusque-là tremblantes devant leur mère, devinrent plus expansives et vraiment charmantes de douceur et de grâce dès que le père fut là. Il les tenait tour à tour et quelquefois toutes les deux sur ses genoux en mangeant, disant tantôt à l’une, tantôt à l’autre, avec sa figure sérieuse et froide :

— Eh bien, on ne m’embrasse donc pas ?

Et les enfants collaient leur bouche rose à ses joues hâlées. La mère rentrait, les grondait de leur importunité à table, et les ôtait de ses bras. À peine avait-elle le dos tourné, qu’elles revenaient à lui, et on se caressait comme en cachette. Cet innocent manège résumait à mes yeux toute la vie du père de famille frappé au cœur par une mystérieuse et incurable blessure. Il ignorait tout, il ne soupçonnait rien ; mais il se sentait dédaigné, et chacun de ses regards aux enfants semblait dire : « Au moins vous, vous m’aimerez ! »

Il me proposa un tour de promenade dans les bois. J’acceptai, présumant qu’il avait quelque chose à me dire ; mais il n’avait rien préparé, et je dus l’amener, par des questions détournées, à me parler de ses chagrins.