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Page:Sand - Theatre complet 1.djvu/265

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notre devoir ! Mais enfin, j’ai observé qu’elle était fort secrète, autant sur elle-même que sur les autres, et qu’elle ne répondait guère aux questions. Qui sait si elle n’a point une connaissance, bonne ou mauvaise !

sylvain.

Mère, mère ! Qu’est-ce que vous dites là ! Une mauvaise connaissance ! Nous ne savons rien d’elle ! Et qui connaîtrez-vous pour bonne et sage, et juste, si ce n’est point Claudie ? Un mois de moisson, deux depuis, ça fait trois mois qu’elle est sous nos yeux, la nuit comme le jour. Où avez-vous jamais vu une misère si fièrement portée, une jeunesse si sévèrement défendue ? Faites une comparaison de cette fille-là avec toutes les autres. Les riches sont glorieuses, coquettes et cherchent l’argent dans le mariage. Les pauvres sont lâches, quémandeuses, et cherchent l’aumône dans l’amour. Voyez si Claudie leur ressemble, elle qui, au lieu de demander toujours quelque chose, refuse tout ce qu’elle ne peut pas payer par son travail ! elle qui cache sa pauvreté et qui passe la moitié des nuits à recoudre et à laver les pauvres nippes de son père et les siennes ! Elle qui est si farouche à tous les hommes, que, pendant la moisson, quand elle était seule au milieu de trente garçons, pas tous bien retenus ni bien honnêtes, elle empêchait, rien que par l’air de son visage, les mauvaises paroles et les mauvaises chansons ! Est-ce que je ne la voyais pas, moi, morte de fatigue et ne s’oubliant jamais ; défiante même d’un regard et se faisant respecter à force de se respecter elle-même ? Non, non ! Cette fille-là n’a jamais fait un faux pas dans sa vie, et celui qui ne voudrait pas le voir serait aveugle.

la mère fauveau.

Ah ! mon fils ! Comme te voilà épris ! Allons ! je vois bien qu’il faudra contrarier ton père pour te contenter. Après tout, la contrariété de ton père sera d’un moment, et ton contentement, à toi, c’est pour toute ta vie ! Le voilà avec la bourgeoise, et Denis Ronciat, qui occupera l’une, du temps que nous tâcherons de persuader l’autre.