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Page:Sand - Theatre complet 1.djvu/449

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stupides préfaces à mes œuvres les plus sérieuses, m’écrasant ainsi des pavés sur la figure pour me délivrer de quelque mouche qui ne me gêne point, et que j’écarterais d’une main beaucoup plus assurée que la leur ; quand ils me volent mon repos, mon temps, mon travail, ma sérénité, ma vie, dites-moi, Armande, dites-moi, votre cœur m’est-il fidèle, et puis-je être fier de vous et de moi-même ?

ARMANDE.

Voilà bien de l’aigreur, Molière, et ces gens de qualité vous sont bien odieux ! Avec qui donc souhaitez-vous que je vive ? Avec vos comédiens, qui, sauf Brécourt et Duparc, vous ont toujours entouré de criailleries, vous suscitant mille embarras, et vous jetant parfois dans de grands périls par leur jalousie et leur cupidité ?

MOLIÈRE.

Je confesse que ma profession m’a souvent écrasé. L’art m’eût fait vivre, le métier me tue. J’aime la vie tranquille, et la mienne est agitée par mille détails turbulents et communs. Cependant, Armande, nous sommes comédiens aussi, nous autres, ne l’oublions point, et sachons aimer nos camarades en dépit de leurs travers. C’est une profession orageuse et difficile dont on exige tout pour le plaisir d’autrui et à qui on n’accorde rien pour le relever ou l’adoucir. Au fond de leurs cœurs, il y a du bon et du grand, comme chez tous les hommes ; leur esprit est mille fois plus agréable et plus solide que celui de tous vos gens de cour, et c’est un grand ridicule, croyez-moi, de n’aimer point ses pareils.

ARMANDE, piquée.

Fort bien ! Ainsi je dois aimer M. Baron, à votre dire ?

MOLIÈRE.

Baron ? Qu’avez-vous contre lui ?

ARMANDE.

Rien, puisque vous ne voulez point m’entendre et que j’ai tort d’avance. Je sais que toute votre amitié est pour lui, et que, grâce à ses soins, vous ne m’aimez plus.