Page:Sand - Theatre complet 4.djvu/13

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que quelques-uns portent tranquillement en eux-mêmes, est cependant des plus simples. L’amour de la famille et du travail, le dévouement, l’honneur et l’amitié, quoi de plus naturel aux bons esprits ? Pourtant l’esprit et les mœurs du temps rendent souvent difficiles ces douces tendances et ces humbles vertus. Le combat d’un homme aux prises avec les vives tentations du siècle et les charmes paisibles du devoir m’a paru avoir sa part de vérité bonne à dire. Nous avons tous assisté à cette lutte, nous avons tous connu cet homme-là. Il n’était ni scélérat ni odieux ; il était souvent aimable et bon, sa conduite n’était pas volontairement lâche : aussi on le plaignait, on se dévouait à lui. Il n’abusait pas sciemment de cette pitié, il la repoussait, il en avait peur. Il n’avait ni le courage de l’accepter ni celui de s’en passer ; une soif avide de bonheur le rendait malheureux : il avait des remords stériles ; des élans de cœur impuissants.

Quel était donc son vice ? L’absence de foi et de lumière, une fausse notion des pures joies de la vie, l’ignorance aveuglée qui jette sa proie pour en saisir l’ombre, le besoin de ne pas se donner de peine, un rêve de repos dans la mollesse et d’amusement dans l’inaction : chimères funestes, résultat d’une civilisation matérielle qui n’a pas encore amené avec elle la vraie civilisation morale, et qui sent le besoin encore vague, mais déjà douloureux, de prendre son équilibre et de mettre son bien-être intellectuel au niveau de son bien-être physique. Nous ne sommes plus, Dieu merci ! au siècle des roués de la Régence. Les jeunes gens complètement dépravés, s’il en existe, ne peuvent plus être aujourd’hui que des imbéciles. L’intelligence est trop répandue pour que le vice s’affiche, pour que l’impudence se sente fière d’elle-même. La jeunesse a généralement de bonnes aspirations ; c’est pour cela qu’elle souffre en les étouffant, et Dieu, qui le veut ainsi, sait probablement ce qu’il fait.

Paris, 10 avril 1836.

G. S.