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Page:Sand - Valentine, CalmannLévy, 1912.djvu/106

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mal à Valentine ; jamais elle ne l’avait vue ainsi. Elle s’arrêta quelques instants pour la regarder avec surprise. À la lueur d’une pâle bougie qui brûlait sur le piano au fond de l’appartement, elle crut voir dans les traits de sa sœur une expression qu’elle ne leur connaissait pas. Ses sourcils étaient contractés, ses lèvres pâles et serrées ; son œil, terne et sévère, était impitoyablement attaché sur Valentine. Celle-ci, troublée, recula involontairement sa chaise, et, toute tremblante, chercha à s’expliquer la froideur dédaigneuse dont pour la première fois de sa vie elle se voyait l’objet. Mais elle eût tout imaginé plutôt que de deviner la vérité. Humble et pieuse, elle eut en ce moment tout l’héroïsme que l’esprit religieux, donne aux femmes, et, se jetant aux pieds de sa sœur, elle cacha son visage baigné de larmes sur ses genoux.

— Vous ayez raison de m’humilier ainsi, lui dit-elle ; je l’ai bien mérité, et quinze ans de vertu vous donnent le droit de réprimander ma jeunesse imprudente et vaine. Grondez-moi, méprisez-moi ; mais ayez compassion de mon repentir et de mes terreurs. Protégez-moi, Louise, sauvez-moi ; vous le pouvez, car vous savez tout !

— Laisse ! s’écria Louise, bouleversée par cette conduite et ramenée tout à coup aux nobles sentiments qui faisaient le fond de son caractère, relève-toi, Valentine, ma sœur, mon enfant, ne reste pas ainsi à mes genoux. C’est moi qui devrais être aux tiens ; c’est moi qui suis méprisable et qui devrais te demander, ange du ciel, de me réconcilier avec Dieu ! Hélas ! Valentine, je ne sais que trop tes chagrins ; mais pourquoi me les confier, à moi, misérable, qui ne puis t’offrir aucune protection et qui n’ai pas le droit de te conseiller ?

— Tu peux me conseiller et me protéger, Louise, répondit Valentine en l’embrassant avec effusion. N’as-tu pas pour toi, l’expérience qui donne la raison et la force ? Il faut que cet homme s’éloigne d’ici ou il faut que je parte moi-même. Nous ne devons pas nous voir davantage ; car chaque jour le mal augmente, et le retour à Dieu devient plus difficile. Oh ! tout à l’heure je me vantais ! je sens que mon cœur est bien coupable.

Les larmes amères que répandait Valentine brisèrent le cœur de Louise.

— Hélas ! dit-elle, pâle et consternée, le mal est donc aussi grand que je craignais ! Vous aussi, vous voilà malheureuse à jamais !

— À jamais ! dit Valentine épouvantée ; avec la volonté de guérir et l’aide du ciel…

— On ne guérit pas ! reprit Louise d’un ton sinistré, en mettant ses deux mains sur son cœur sombre et désolé.

Puis elle se leva, et, marchant avec agitation,