Page:Sand - Valentine, CalmannLévy, 1912.djvu/112

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rideau, et qui forment une barrière impénétrable à la vue. Au milieu de ces lianes, et derrière ces discrets ombrages, le pavillon s’élevait dans une situation délicieuse, auprès d’une source dont le bouillonnement, s’échappant à travers les roches, entretenait sans cesse un frais murmure autour de cette rêveuse et mystérieuse retraite. Personne n’y fut admis que Valentin, Louise, Bénédict et Athénaïs, lorsqu’elle pouvait échapper à la surveillance de son mari, qui n’aimait pas beaucoup à lui voir conserver des relations avec son cousin. Chaque matin, Valentin, qui avait une clef du pavillon, venait y attendre Valentine. Il arrosait ses fleurs, il renouvelait celles du salon, il essayait quelques études sur le piano, ou bien il donnait des soins à la volière. Quelquefois il s’oubliait, sur un banc, aux vagues et inquiètes rêveries de son âge ; mais sitôt qu’il apercevait la forme svelte de sa tante à travers les arbres, il se remettait à l’ouvrage. Valentine aimait à constater la similitude de leurs caractères et de leurs inclinations ; elle se plaisait à retrouver dans ce jeune homme, malgré la différence des sexes, les goûts paisibles, l’amour de la vie intime et retirée qui étaient en elle. Et puis elle l’aimait à cause de Bénédict, dont il recevait les soins et les leçons, et dont chaque jour il lui apportait un reflet.

Valentin, sans comprendre la force des liens qui l’attachaient à Bénédict et à Valentine, les aimait déjà avec une vivacité et une délicatesse au-dessus de son âge. Cet enfant, né dans les larmes, le plus grand fléau et la plus grande consolation de sa mère, avait fait de bonne heure l’essai de cette sensibilité qui se développe plus tard dans le cours des destinées ordinaires. Dès qu’il avait été en âge de comprendre un peu la vie, Louise lui avait exposé nettement sa position dans le monde, les malheurs de sa destinée, la tache de sa naissance, les sacrifices qu’elle lui avait faits, et tout ce qu’elle avait à braver pour remplir envers lui ces devoirs si faciles et si doux aux autres mères. Valentin avait profondément senti toutes ces choses ; son âme, facile et tendre, avait pris dès lors une teinte de mélancolie et de fierté ; il avait conçu pour sa mère une reconnaissance passionnée, et, dans toutes ses douleurs, elle avait trouvé en lui de quoi la récompenser et la consoler…

Mais il faut bien l’avouer, Louise, qui était capable d’un si grand courage et de tant de vertus supérieures au vulgaire, était peu agréable dans le commerce de la vie ordinaire ; passionnée à propos de tout, et, en dépit d’elle même, sensible à toutes les blessures dont elle aurait dû savoir émousser l’atteinte, elle faisait souvent retomber l’amertume de son âme sur l’âme si douce et si impressionnable de son fils. Aussi, à force d’irriter ses jeunes facultés, elle les avait déjà un peu épuisées. Il y avait comme des teintes de vieillesse sur ce front de quinze ans, et cet enfant, à peine éclos à la vie, éprouvait déjà la fatigue de vivre et le besoin de se reposer dans une existence calme et sans orage. Comme une belle fleur née le matin sur les rochers et déjà battue des vents avant de s’épanouir, il penchait sa tête pâle sur son sein, et son sourire avait une langueur qui n’était pas de son âge. Aussi, l’intimité si caressante et si sereine de Valentine, le dévouement si prudent et si soutenu de Bénédict, commencèrent pour lui une nouvelle ère. Il se sentit épanouir dans cette atmosphère plus favorable à sa nature. Sa taille souple et frêle prit un essor plus rapide, et une douce nuance d’incarnat vint se mêler à la blancheur mate de ses joues. Athénaïs, qui faisait plus de cas de la beauté physique que de toute chose au monde, déclarait n’avoir jamais vu une tête aussi ravissante que celle de ce bel adolescent, avec ses