Page:Sand - Valentine, CalmannLévy, 1912.djvu/133

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coup de sa fatale destinée, et se plut à redire, dans l’amertume de ses pensées, que tous ses appuis naturels lui étaient successivement enlevés, et, comme à dessein, dans le temps où ils lui étaient le plus nécessaires.

De plus en plus découragée de sa situation, Valentine résolut d’écrire à sa mère pour la supplier de venir à son secours, et de ne point revoir Bénédict jusqu’à ce qu’elle eût consommé ce sacrifice. En conséquence, après avoir rendu les derniers devoirs à la marquise, elle se retira chez elle, s’y enferma, et, déclarant qu’elle était malade et ne voulait voir personne, elle écrivit à la comtesse de Raimbault.

Alors, quoique la dureté de M. de Lansac eût bien dû la dégoûter de verser sa douleur dans un cœur insensible, elle se confessa humblement devant cette femme orgueilleuse qui l’avait fait trembler toute sa vie. Maintenant, Valentine, exaspérée par la souffrance, avait le courage du désespoir pour tout entreprendre. Elle ne raisonnait plus rien ; une crainte majeure dominait toute autre crainte. Pour échapper à son amour, elle aurait marché sur la mer. D’ailleurs, au moment où tout lui manquait à la fois, une douleur de plus devenait moins effrayante que dans un temps ordinaire. Elle se sentait une énergie féroce envers elle-même, pourvu qu’elle n’eût pas à combattre Bénédict ; les malédictions du monde entier l’épouvantaient moins que l’idée d’affronter la douleur de son amant.

Elle avoua donc à sa mère qu’elle aimait un autre homme que son mari. Ce furent là tous les renseignements qu’elle donna sur Bénédict ; mais elle peignit avec chaleur l’état de son âme et le besoin qu’elle avait d’un appui. Elle la supplia de la rappeler auprès d’elle ; car telle était la soumission absolue qu’exigeait la comtesse, que Valentine n’eût pas osé la rejoindre sans son aveu.

À défaut de tendresse, madame de Raimbault eût peut-être accueilli avec vanité la confidence de sa fille ; elle eût peut-être fait droit à sa demande, si le même courrier ne lui eût apporté une lettre datée du château de Raimbault, qu’elle lut la première : c’était une dénonciation en règle de mademoiselle Beaujon.

Cette fille, suffoquée de jalousie en voyant la marquise entourée d’une nouvelle famille à ses derniers moments, avait été furieuse surtout du don de quelques bijoux antiques offerts à Louise par sa grand’mère, comme gage de souvenir. Elle se regarda comme frustrée par ce legs, et, n’ayant aucun droit pour s’en plaindre, elle résolut au moins de s’en venger ; elle écrivit donc sur-le-champ à la comtesse, sous prétexte de l’informer de la mort de sa belle-mère, et elle profita de l’occasion pour révéler l’intimité de Louise et de Valentine, l’installation scandaleuse de Valentin dans le voisinage, son éducation faite à demi par madame de Lansac, et tout ce qu’il lui plut d’appeler les mystères du pavillon ; car elle ne s’en tint pas à dévoiler l’amitié des deux sœurs, elle noircit les relations qu’elles avaient avec le neveu du fermier, le paysan Benoît Lhéry ; elle présenta Louise comme une intrigante qui favorisait odieusement l’union coupable de ce rustre avec sa sœur ; elle ajouta qu’il était bien tard sans doute pour remédier à tout cela, car le commerce durait depuis quinze grands mois. Elle finit en déclarant que M. de Lansac avait sans doute fait à cet égard de fâcheuses découvertes, car il était parti au bout de trois jours sans avoir aucune relation avec sa femme.

Après avoir donné ce soulagement à sa haine, la Beaujon quitta Raimbault, riche des libéralités de la famille, et vengée des bontés que Valentine avait eues pour elle.

Ces deux lettres mirent la comtesse dans une fureur épouvantable ; elle eût ajouté moins de foi aux aveux de la duègne, si les aveux de sa fille, arrivés en même temps, ne lui en eussent semblé la confirmation. Alors tout le mérite de cette confession naïve fut perdu pour Valentine. Madame de Raimbault ne vit plus en elle qu’une malheureuse dont l’honneur était entaché sans retour, et qui, menacée de la vengeance de son mari, venait implorer l’appui nécessaire de sa mère. Cette opinion ne fut que trop confirmée par les bruits de la province qui arrivaient chaque jour à ses oreilles. Le bonheur pur de deux amants n’a jamais pu s’abriter dans la paix obscure des champs sans exciter la jalousie et la haine de tout ce qui végète sottement au sein des petites villes. Le bonheur d’autrui est un spectacle qui dessèche et dévore le provincial ; la seule chose qui lui fait supporter sa vie étroite et misérable, c’est le plaisir d’arracher tout amour et toute poésie de la vie de son voisin.

Et puis madame de Raimbault, qui avait été déjà frappée du retour subit de M. de Lansac à Paris, le vit, l’interrogea, ne put obtenir aucune réponse, mais put fort bien comprendre, à l’habileté de son silence et à la dignité de sa contenance évasive, que tout lien d’affection et de confiance était rompu entre sa femme et lui.

Alors elle fit à Valentine une réponse foudroyante, lui conseilla de chercher désormais son refuge dans la protection de cette sœur tarée comme elle, lui déclara qu’elle l’abandonnait à l’opprobre de son sort, et finit en lui donnant presque sa malédiction.

Il est vrai de dire que madame de Raimbault fut navrée de voir la vie de sa fille