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Page:Sand - Valentine, CalmannLévy, 1912.djvu/135

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la fenêtre de l’oratoire. Le soleil embrasait ses vitraux coloriés. Bénédict chercha longtemps à saisir quelque chose derrière ce miroir ardent, lorsqu’une main de femme l’ouvrit tout à coup, et une forme fugitive se montra et disparut.

Bénédict monta sur un vieux if, et, caché par ses rameaux noirs et pendants, il s’éleva assez pour que sa vue pût plonger dans l’intérieur. Alors il vit distinctement Valentine à genoux, avec ses cheveux blonds à demi détachés, qui tombaient négligemment sur son épaule, et que le soleil dorait de ses derniers feux. Ses joues étaient animées, son attitude avait un abandon plein de grâce et de candeur. Elle pressait sur sa poitrine et baisait avec amour ce mouchoir sanglant que Bénédict avait cherché avec tant d’anxiété après son suicide, et qu’il reconnut aussitôt entre ses mains.

Alors Bénédict, promenant ses regards craintifs sur le jardin désert, et n’ayant qu’un mouvement à faire pour atteindre à cette fenêtre, ne put résister à la tentation. Il s’attacha à la balustrade sculptée, et, abandonnant la dernière branche qui le soutenait encore, il s’élança au péril de sa vie.

En voyant une ombre se dessiner dans l’air éblouissant de la croisée, Valentine jeta un cri ; mais, en le reconnaissant, sa terreur changea de nature.

— Ô ciel ! lui dit-elle, oserez-vous donc me poursuivre jusqu’ici ?

— Me chassez-vous ? répondit Bénédict. Voyez ! vingt pieds seulement me séparent du sol ; ordonnez-moi de lâcher cette balustrade, et j’obéis.

— Grand Dieu ! s’écria Valentine épouvantée de la situation où elle le voyait, entrez, entrez ! Vous me faites mourir de frayeur.

Il s’élança dans l’oratoire, et Valentine, qui s’était attachée à son vêtement dans la crainte de le voir tomber, le pressa dans ses bras par un mouvement de joie involontaire en le voyant sauvé.

En cet instant tout fut oublié, et les résistances que Valentine avait tant méditées, et les reproches que Bénédict s’était promis de lui faire. Ces huit jours de séparation, dans de si tristes circonstances, avaient été pour eux comme un siècle. Le jeune homme s’abandonnait à une joie folle en pressant contre son cœur Valentine, qu’il avait craint de trouver mourante, et qu’il voyait plus belle et plus aimante que jamais.

Enfin, la mémoire de ce qu’il avait souffert loin d’elle lui revint ; il l’accusa d’avoir été menteuse et cruelle.

— Écoutez, lui dit Valentine avec feu en le conduisant devant sa madone, j’avais fait serment de ne jamais vous revoir, parce que je m’étais imaginé que je ne pourrais le faire sans crime. Maintenant jurez-moi que vous m’aiderez à respecter mes devoirs ; jurez-le devant Dieu, devant cette image, emblème de pureté ; rassurez-moi, rendez-moi la confiance que j’ai perdue. Bénédict, votre âme est sincère, vous ne voudriez pas commettre un sacrilège dans votre cœur ; dites ! vous sentez-vous plus fort que je ne le suis ?

Bénédict pâlit et recula avec épouvante. Il avait dans l’esprit une droiture vraiment chevaleresque, et préférait le malheur de perdre Valentine au crime de la tromper.

— Mais c’est un vœu que vous me demandez, Valentine ! s’écria-t-il. Pensez-vous que j’aie l’héroïsme de le prononcer et de le tenir sans y être préparé ?

— Eh quoi ! ne l’êtes-vous pas depuis quinze mois ? lui dit-elle. Ces promesses solennelles que vous me fîtes un soir en face de ma sœur, et que jusqu’ici vous aviez si loyalement observées…

— Oui, Valentine, j’ai eu cette force, et j’aurai peut-être celle de renouveler mon vœu. Mais ne me demandez rien aujourd’hui, je suis trop agité ; mes serments n’auraient nulle valeur. Tout ce qui s’est passé a chassé le calme que vous aviez fait rentrer dans mon sein. Et puis, Valentine ! femme imprudente ! vous me dites que vous tremblez ! Pourquoi me dites-vous cela ? Je n’aurais pas eu l’audace de le penser. Vous étiez forte quand je vous croyais forte ; pourquoi me demander, à moi, l’énergie que vous n’avez pas ? Où la trouverai-je maintenant ? Adieu, je vais me préparer à vous obéir. Mais jurez-moi que vous ne me fuirez plus ; car vous voyez l’effet de cette conduite sur moi : elle me tue, elle détruit tout l’effet de ma vertu passée.

— Eh bien ! Bénédict, je vous le jure ; car il m’est impossible de ne pas me fier à vous quand je vous vois et quand je vous entends. Adieu ; demain nous nous reverrons tous au pavillon.

Elle lui tendit la main ; Bénédict hésita à la toucher. Un tremblement convulsif l’agitait. À peine l’eut-il effleurée, qu’une sorte de rage s’empara de lui. Il étreignit Valentine dans ses bras, puis il voulut la repousser. Alors l’effroyable violence qu’il imposait à sa nature ardente depuis si longtemps ayant épuisé toutes ses forces, il se tordit les mains avec fureur et tomba presque mourant sur les marches du prie-Dieu.

— Prends pitié de moi, dit-il avec angoisse, toi qui as créé Valentine ; rappelle mon âme à toi, éteins ce souffle dévorant qui ronge ma poitrine et torture ma vie ; fais-moi la grâce de mourir.

Il était si pâle, tant de souffrance se peignait