Page:Sand - Valentine, CalmannLévy, 1912.djvu/78

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c’était de l’amour ! Un sentiment de joie délirante s’empara de lui ! il oublia encore une fois et son malheur et celui de Valentine, et la veille et le lendemain, pour ne voir que Valentine qui était là, seule avec lui, Valentine qui l’aimait et qui ne le lui cachait plus.

Il se jeta à genoux devant elle ; il baisa ses pieds avec ardeur. C’était une trop rude épreuve pour Valentine : elle sentit tout son sang se figer dans ses veines, sa vue se troubla ; la fatigue de sa course rendant plus pénible encore la lutte qu’elle s’imposait pour cacher ses pleurs, elle tomba pâle et presque morte dans les bras de Bénédict.

Leur entrevue fut longue, orageuse. Ils n’essayèrent pas de se tromper sur la nature du sentiment qu’ils éprouvaient ; ils ne cherchèrent point à se soustraire au danger des plus ardentes émotions. Bénédict couvrit de pleurs et de baisers les vêtements et les mains de Valentine. Valentine cacha son front brûlant sur l’épaule de Bénédict ; mais ils avaient vingt ans, ils aimaient pour la première fois, et l’honneur de Valentine était en sûreté auprès du sein de Bénédict. Il n’osa seulement pas prononcer ce mot d’amour qui effarouche l’amour même. Ses lèvres osèrent à peine effleurer les beaux cheveux de sa maîtresse. Le premier amour sait à peine s’il existe une volupté plus grande que celle de se savoir aimé. Bénédict fut le plus timide des amants et le plus heureux des hommes.

Ils se séparèrent sans avoir rien projeté, rien résolu. À peine, dans ces deux heures de transport et d’oubli, avaient-ils échangé quelques paroles sur leur situation, lorsque le timbre clair de l’horloge du château vint faiblement vibrer dans le silence de la prairie. Valentine compta dix coups presque insaisissables, et se rappela sa mère, son fiancé, le lendemain… Mais comment quitter Bénédict ? que lui dire pour le consoler ? où trouver la force de l’abandonner dans un tel moment ? L’apparition d’une femme à quelque distance lui arracha une exclamation de terreur. Bénédict se tapit précipitamment dans le buisson ; mais, à la vive clarté de la lune, Valentine reconnut presque aussitôt sa nourrice Catherine qui la cherchait avec anxiété. Il lui eût été facile de se cacher aussi à ses regards ; mais elle sentit qu’elle ne devait pas le faire, et marchant droit à elle :

— Qu’y a-t-il ? lui demanda-t-elle en se penchant toute tremblante à son bras.

— Pour l’amour de Dieu, rentrez, Mademoiselle, dit la bonne femme ; madame vous a déjà demandée deux fois, et, comme j’ai répondu que vous vous étiez jetée sur votre lit, elle m’a ordonné de l’avertir aussitôt que vous seriez éveillée ; alors l’inquiétude m’a prise, et comme je vous avais vue sortir par la petite porte, comme je sais que vous venez quelquefois le soir vous promener par ici, je me suis mise à vous chercher. Oh ! Mademoiselle, aller toute seule vous promener si loin ! Vous avez tort ; vous devriez au moins me dire d’aller avec vous.

Valentine embrassa sa nourrice, jeta un coup d’œil triste et inquiet sur le buisson, et laissa volontairement à la place qu’elle quittait son foulard, celui qu’elle avait une fois prêté à Bénédict dans la promenade autour de la ferme. Lorsqu’elle fut rentrée, sa nourrice le chercha partout, et remarqua qu’elle l’avait perdu dans cette promenade.

Valentine trouva sa mère qui l’attendait dans sa chambre depuis quelques instants. Elle manifesta un peu de surprise de la voir si complètement habillée après avoir passé deux heures sur son lit. Valentine répondit que, se sentant oppressée, elle avait voulu prendre l’air, et que sa nourrice lui avait donné le bras pour faire un tour de promenade dans le parc.

Alors madame de Raimbault entama une grave dissertation d’affaires avec sa fille ; elle lui fit remarquer qu’elle lui laissait le château et la terre de Raimbault, dont le nom seul constituait presque tout l’héritage de son père, et dont la valeur réelle, détachée de sa propre fortune, constituait une assez belle dot. Elle la pria de lui rendre justice en reconnaissant le bon ordre qu’elle avait mis dans sa fortune, et de témoigner à tout le monde, dans le cours de sa vie, l’excellente conduite de sa mère envers elle. Elle entra dans des détails d’argent qui firent de cette exhortation maternelle une véritable consultation notariée, et termina sa harangue en lui disant qu’elle espérait, au moment où la loi allait les rendre étrangères l’une à l’autre, trouver Valentine disposée à lui accorder des égards et des soins.

Valentine n’avait pas entendu la moitié de ce long discours. Elle était pâle, des teintes violettes cernaient ses yeux abattus, et de temps en temps un brusque frisson parcourait tous ses membres. Elle baisa tristement les mains de sa mère, et s’apprêtait à se mettre au lit quand la demoiselle de compagnie de sa grand’mère vint, d’un air solennel, l’avertir que la marquise l’attendait dans son appartement.

Valentine se traîna encore à cette cérémonie ; elle trouva la chambre à coucher de la vieille dame accoutrée d’une sorte de décoration religieuse. On avait formé un autel avec une table et des linges brodés. Des fleurs disposées en bouquets d’église entouraient un crucifix d’or guilloché. Un missel de velours écarlate était ouvert sacramentellement