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Page:Sand - Valentine, CalmannLévy, 1912.djvu/98

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— Oh ! tout de suite ! répondit-elle d’une voix faible et pénétrante.

— Tout de suite, ma pauvre enfant ? dit le médecin en souriant. Eh ! voyez donc ces flambeaux ! il est deux heures du matin ; mais si vous voulez me promettre d’être sage et de bien dormir, et de ne pas reprendre la fièvre d’ici à demain, nous irons dans la matinée faire une promenade dans le bois de Vavray. Il y a de ce côté-là une petite maison où vous porterez l’espoir et la vie.

Valentine pressa à son tour la main du vieux médecin, se laissa médicamenter avec la docilité d’un enfant, passa son bras autour du cou de Louise, et s’endormit sur son sein d’un sommeil paisible.

— Y pensez-vous, monsieur Faure ? dit Louise en la voyant assoupie. Comment voulez-vous qu’elle ait la force de sortir, elle qui était encore à l’agonie il y a quelques heures ?

— Elle l’aura, comptez-y, répondit M. Faure. Ces affections nerveuses n’affaiblissent le corps qu’aux heures de la crise. Celle-ci est si évidemment liée à des causes morales, qu’une révolution favorable dans les idées doit en amener une équivalente dans la maladie. Plusieurs fois, depuis l’invasion du mal, j’ai vu madame de Lansac passer d’une prostration effrayante à une surabondance d’énergie à laquelle j’eusse voulu donner un aliment. Il existe des symptômes de la même affection chez Bénédict ; ces deux personnes sont nécessaires l’une à l’autre…

— Oh ! monsieur Faure ! dit Louise, n’allons-nous pas commettre une grande imprudence ?

— Je ne le crois pas ; les passions dangereuses pour la vie des individus comme pour celle des sociétés sont les passions que l’on irrite et que l’on exaspère. N’ai-je pas été jeune ? n’ai-je pas été amoureux à en perdre l’esprit ? N’ai-je pas guéri ? ne suis-je pas devenu vieux ? Allez, le temps et l’expérience marchent pour tous. Laissez guérir ces pauvres enfants ; après qu’ils auront trouvé la force de vivre, ils trouveront celle de se séparer. Mais, croyez-moi, hâtons le paroxysme de la passion ; elle éclaterait sans nous d’une manière peut-être plus terrible ; en la sanctionnant de notre présence, nous la calmerons un peu.

— Oh ! pour lui, pour elle, je ferai tous les sacrifices ! répondit Louise ; mais que dira-t-on de nous, monsieur Faure ? Quel rôle coupable allons-nous jouer ?

— Si votre conscience ne vous le reproche pas, qu’avez-vous à craindre des hommes ? Ne vous ont-ils pas fait le mal qu’ils pouvaient vous faire ? Leur devez-vous beaucoup de reconnaissance pour l’indulgence et la charité que vous avez trouvées en ce monde ?

Le sourire malin et affectueux du vieillard fit rougir Louise. Elle se chargea d’éloigner de chez Bénédict tout témoin indiscret, et le lendemain Valentine, M. Faure et la nourrice, s’étant fait promener environ une heure en calèche dans le bois de Vavray, mirent pied à terre dans un endroit sombre et solitaire, où ils dirent à l’équipage de les attendre. Valentine, appuyée sur le bras de sa nourrice, s’enfonça dans un des chemins tortueux qui descendent vers le ravin ; et M. Faure, prenant les devants, alla s’assurer par lui-même qu’il n’y avait personne de trop à la maison de Bénédict. Louise avait, sous différents prétextes, renvoyé tout le