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Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/211

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des nombres, pierre philosophale, influences mutuelles des astres, sciences cabalistiques, haute magie, toutes chimères déclarées telles par la certitude une et infaillible. Vous avez l’empire ; on ne saurait mieux user du sacerdoce suprême. Cependant je suis opiniâtre comme tous les hérésiarques : il y a plus, votre science certaine m’est suspecte, je vous soupçonne d’être heureux.

Supposons un moment que rien ne vous réussit : vous souffrirez alors que je vous expose jusqu’où vont mes doutes.

On dit que l’homme conduit et gouverne, que le hasard n’est rien. Tout cela se peut ; voyons pourtant si ce hasard ne ferait pas quelque chose. Je veux que ce soit l’homme qui fasse toutes les choses humaines ; mais il les fait avec des moyens, avec des facultés ; d’où les a-t-il ? Les forces physiques, ou la santé, la justesse et l’étendue de l’esprit, les richesses, le pouvoir composent à peu près ces moyens. Il est vrai que la sagesse ou la modération peuvent maintenir la santé, mais le hasard donne et quelquefois rétablit une forte constitution. Il est vrai que la prudence évite quelques dangers, mais le hasard préserve à tout moment d’être blessé ou mutilé. Le travail améliore nos facultés morales ou intellectuelles ; le hasard les donne, et souvent il les développe, ou les préserve de tant d’accidents dont un seul pourrait les détruire. La sagesse fait parvenir au pouvoir un homme dans un siècle ; le hasard l’offre à tous les autres maîtres des destinées vulgaires. La prudence, la conduite élèvent lentement quelques fortunes ; tous les jours le hasard en fait rapidement. L’histoire du monde ressemble beaucoup à celle de ce commissionnaire qui gagna cent louis en vingt ans de courses et d’épargnes, et qui ensuite mit à la loterie un seul écu, et en reçut soixante-quinze mille.

Tout est loterie. La guerre n’est plus qu’une loterie