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Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/303

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aux grandes choses, et que trente ans de soins avaient préparée. Dans cette incertitude, sous la loi de la nécessité, que deviennent nos calculs et l’exactitude des détails ?

Sans cette incertitude, on ne voudrait pas avoir des mouchoirs de batiste ; ceux de toile serviraient aussi bien, et l’on pourrait en donner à ce pauvre homme de journée qui se prive de tabac quand on l’emploie dans l’intérieur d’une maison, parce qu’il n’a pas de mouchoir dont il ose se servir devant le monde.

Ce serait une vie heureuse que celle qu’on passerait comme ce curé respectable. Si j’étais pasteur de village, je voudrais me hâter de faire ainsi, avant qu’une grande habitude me rendît nécessaire l’usage de ce qui compose une vie aisée. Mais il faut être célibataire, être seul, être indépendant de l’opinion ; sans quoi l’on peut perdre dans trop d’exactitude les occasions de sortir des bornes d’une utilité si restreinte. S’arranger de cette manière, c’est trop limiter son sort ; mais aussi, sortez de là, et vous voilà comme assujetti à tous ces besoins convenus dont il est difficile de marquer le terme, et qui entraînent si loin de l’ordre réel, qu’on voit des gens ayant cent mille livres de revenu craindre une dépense de vingt francs.

On ne s’arrête pas assez à ce qu’éprouve une femme qui se traîne sur une route avec son enfant, qui manque de pain pour elle et pour lui-même, et qui enfin trouve ou reçoit une pièce de six sous. Alors elle entre avec confiance dans une maison où elle aura de la paille pour tous deux ; avant de se coucher, elle lui fait une panade, et dès qu’il dort, elle s’endort contente, laissant à la Providence les besoins du lendemain.

Que de maux à prévenir, à réparer ! que de consolations à donner ! que de plaisirs à faire, qui sont là, en quelque sorte, dans une bourse d’or, comme des germes