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Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/60

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peu flexible pour que son être, formé sur le modèle antérieur, ne puisse être livré aux empreintes sociales, si, dis-je, le hasard me fait rencontrer un tel homme, nous nous entendrons ; il me restera ; je serai à lui pour toujours ; nous reporterons l’un vers l’autre nos rapports avec le reste du monde ; et, quittés des autres hommes, dont nous plaindrons les vains besoins, nous suivrons, s’il se peut, une vie plus naturelle, plus égale. Cependant qui pourra dire si elle serait plus heureuse, sans accord, avec les choses, et passée au milieu des peuples souffrants ?

Je ne saurais vous donner une juste idée de ce monde nouveau, ni exprimer la permanence des monts dans une langue des plaines. Les heures m’y semblaient à la fois et plus tranquilles et plus fécondes, et, comme si le roulement des astres eût été ralenti dans le calme universel, je trouvais dans la lenteur et l’énergie de ma pensée une succession que rien ne précipitait et qui pourtant devançait son cours habituel. Quand je voulus estimer sa durée, je vis que le soleil ne l’avait pas suivie ; et je jugeai que le sentiment de l’existence est réellement plus pesant et plus stérile dans l’agitation des terres humaines. Je vis que, malgré la lenteur des mouvements apparents, c’est dans les montagnes, sur leurs cimes paisibles, que la pensée, moins pressée, est plus véritablement active. L’homme des vallées consume, sans en jouir, sa durée inquiète et irritable ; semblable à ces insectes toujours mobiles qui perdent leurs efforts en vaines oscillations, et que d’autres, aussi faibles, mais plus tranquilles, laissent derrière eux dans leur marche directe et toujours soutenue.

La journée était ardente, l’horizon fumeux et les vallées vaporeuses. L’éclat des glaces remplissait l’atmosphère inférieure de leurs reflets lumineux ; mais une pureté in-